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  • Gérard Guerrier

A propos du Leadership et… d'Ernest Shackleton


Longtemps Ernest Shackleton, l’officier de la marine marchande mal dégrossi, a été boudé par l’opinion publique au profit de son rival Robert Falcon Scott, le fringant officier de la Navy, qui n’a pas hésité à sacrifier sa vie, après avoir vaincu le Pôle Sud, pour la gloire de la couronne Britannique. Le temps a comblé cette injustice. Ernest Shackleton est aujourd’hui promu au rang de « leader modèle » — pourquoi pas lider massimo ? — par les écoles de management. Voilà notre explorateur polaire paré de toutes les lames indispensables au couteau suisse du leader : perspicacité, intelligence collective, optimisme concret, exemplarité, empathie, altruisme, etc. Ces doctes professeurs nous montrent la voie :

« Pour devenir un véritable leader — et transformer le plomb en or — suivez l’exemple de Shackleton … » Difficile de nier, en effet, le fait que « Le Boss », à l’épreuve de l’Antarctique a montré plus d'une fois, les marques du courage véritable et vertueux* : la lucidité, la force d’âme, la persévérance et enfin la volonté de sauver son équipage, coûte que coûte. Pas sûr que Scott et bien d’autres explorateurs, ou leaders auto-proclamés, aient pu en dire autant !



Pourtant, cette idéalisation, qui confine à la sanctification, me gêne car en lissant le personnage, elle lui lève son écorce rugueuse, gomme ses faiblesses et affadit son humanité. Le livre de Mirella Tenderini : Ernest Shackleton, le Boss, ed. Paulsen, 2022, que j’ai eu le bonheur de traduire, restitue heureusement cette humanité nécessairement imparfaite. Si l’attitude héroïque de l’explorateur lors de la « retraite de la mer de Weddel » n’est pas mise en cause, le livre dévoile la face cachée de Sir Ernest… Loin d’être un saint, celui-ci avait bien du mal à gérer le quotidien, à supporter les contraintes de la la routine, au collège comme en famille. Avide d’expériences nouvelles, maîtrisant avec peine ses pulsions et ses envies, il séduit la femme de son principal sponsor : Lord Beardmore… tout en assurant son épouse de son infinie tendresse. Séducteur, parfois manipulateur, doté d’un égo largement dimensionné, il n’a de cesse de décrocher la gloire et la fortune, mais laissera à sa veuve une dette de l’ordre de 1,5 million d’Euros. Quant à son infaillible perspicacité… on pourrait en sourire quand on lit le détail de ses aventures. Ainsi, lors de son expédition Nimrod, il refuse, malgré l’échec de l’expédition Discovery, de suivre les conseils du très expérimenté et avisé Fridjof Nansen et préfère utiliser des chevaux plutôt que des chiens. Plus tard, lors du désastre de l’Endurance, broyé par les glaces, il refuse de faire des provisions de viande en abattant des phoques pour ne pas décourager son équipage : « Ne craignez rien, nous nous en sortirons avant l’hiver… » Un optimisme qui a bien failli coûter la vie des 22 naufragés qui ont passé l’hiver sur l’île des Eléphants. Ils ne durent alors leur salut qu’à l’intelligence de deux anonymes : Frank Wild, le fidèle second, et le capitaine Frank Worsley qui a su rallier la Géorgie du Sud.


Ainsi loin d’une apologie clinquante, le livre de Mirella nous permet de comprendre cet authentique héros, qui loin d’être un modèle parfait ou un saint était d’abord un homme. Je ne saurais trop conseiller sa lecture à tous les professeurs de « leadership » et à leurs élèves pour les encourager à apprécier le charme de la nuance et de la complexité, car voilà longtemps qu'à l'encens des "leaders", je préfère la sueur des "honnêtes hommes".



* voir mon livre : Du Courage, ed. Paulsen, 2021


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