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© Editions Transboreal, 2015
248 pages, 9,90 €

Le Mot de l'Editeur

Entre bonheur et angoisse

Une traversée mélancolique et poétique des Alpes

Un récit vécu, à peine romancé…

        Pourquoi se contenter des chemins balisés?  Pour se rendre d'Allemagne en Italie via l'Autriche et la Suisse, Eva violoncelliste, et son mari, accompagnateur en montagne, inventent leur propre itinéraire à travers les Alpes, des forêts profondes de Neuschwanstein, eaux collines parfumées de Bergame.
       Sentiers du vertige, lignes de crêtes menacées par l'orage, observations naturalistes et rencontres avec les "gens d'en haut" rythment leurs trois semaines de marche…
      Alors que le bonheur est à leur portée, l'angoisse s'immisce dans l'aventure: pourquoi leur fils cadet, parti en expédition  en Sibérie Orientale, ne donne -t-il plus signe de vie?
         Condamné à l'attente et à l'éventualité de la mort, l'auteur convoque les dieux de son enfance mais aussi les fantômes de la Renaissance et de la Seconde Guerre mondiale.

Mon Grain de Sel

J'ai une tendresse particulière pour ce premier "vrai livre" où j'ai laissé libre cours au flot de l'écriture.
 
Un véritable "road book" à moins que ce ne soit un journal intime?

Titre 1

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L'Opéra Alpin

Le film… et l.a musique

Entre Bavière et Tyrol, la montagne mélancolique…

Je suis un paragraphe. Cliquez ici pour ajouter votre propre texte et me modifier. C'est facile.

Les Critiques

Libération - 7 Janvier 2015
Les Notes Justes de l'Opéra Alpin

       «J’ai eu un soir la vision de mon fils emporté par un torrent en Sibérie… Pas un rêve, une vraie vision. Le lendemain, il m’a appelé pour me dire, qu’en effet il était coincé par les intempéries sur une petite île, qu’il n’avait plus de vivres, qu’il fallait qu’il traverse le fleuve en crue… Et puis l’appel a coupé et nous n’avons plus eu de nouvelles pendant dix jours…»

C’est cette histoire extraordinaire qui traverse et déchire le récit de L’Opéra alpin, premier livre de Gérard Guerrier, grand voyageur et ancien patron de l’agence de trek Allibert.

       Au départ, il n’était pourtant question que d’une randonnée estivale de trois semaines dans les Alpes avec sa femme; une balade hors des sentiers battus entre ligne de crêtes, cabanes de bergers et sentiers de vertige. Une itinérance qui se voulait sereine, l’occasion d’une paisible réflexion sur la marche, la musique et la nature.

       Bref, des vacances tranquilles pour ce quinquagénaire passionné de marche, peut-être un peu plus sportives que la moyenne, mais avec nuitées à l’hôtel, pâtisserie bavaroise sur la table et portable dans la sacoche. Et puis ce coup de fil. La mort possible. Les souvenirs de l’enfance et de la famille qui remontent et débordent; l’angoisse qui s’immisce dans l’aventure et le couple…

«La vision est bien réelle, confirme en souriant Gérard Guerrier, rencontré cet hiver dans un café parisien. Mais aujourd’hui je me rends compte que j’ai mêlé deux histoires. Celle de cet été et une autre arrivée il y a une dizaine d’années lors d’un des premiers treks de Mischa, déjà au fin fond de la taïga sibérienne. Il avait tout juste 19 ans. A l’époque, je lui avais dit que, s’il devait y avoir un danger dans ces régions, ce ne serait lors des traversées des rivières en crue. Et, de fait, il avait failli se noyer et était resté bloqué cinq jours…» Une aventure enfouie qui avait dû marquer ce père, pourtant habitué aux raids de ses deux garçons, amoureux comme lui de nature et d’expéditions lointaines.

       Dans un premier temps, pour préserver sa femme, Gérard lui cache son rêve «prémonitoire». Il tente de se rassurer, contacte des guides en Sibérie pour glaner des nouvelles, guette les messages, se renseigne sur la météo (exécrable)… Et continue sa marche à travers vallées et cols alpins. Une agitation vaine et un sentiment d’impuissance qui ne font que grandir à mesure que le temps passe, que le portable de son fils sonne toujours dans le vide, que les réponses de ses correspondants russes se font plus évasives…

Comment gérer le pire? Quelle responsabilité assumer dans les choix de vie de ses enfants? Que dire à son épouse qui ne comprend pas cette nervosité et s’inquiète à son tour? «L’inconscient fonctionne assez vite dans ces cas. Je passais par tous les états. J’ai même visualisé son enterrement… Puis la vie reprenait le dessus. Je me retrouvais, tranquille à marcher sous le soleil, Jusqu’à ce que les images morbides reviennent.» 

      «C’est vraiment une expérience qui vous mine, poursuit Gérard Guerrier. D’autant que lorsque l’on marche, on a le temps de penser! Ce n’est pas pour rien qu’il y a autant d’écrivains ou de philosophes marcheurs…»

On ne dévoilera pas la fin de l’histoire. On insistera en revanche sur la beau style, sur la culture de l’auteur, et sur ces mille détails de la randonnée dans lesquels se retrouveront tous ceux qui aiment la montagne (1).

Grand marcheur, amoureux d’étendues vierges, Gérard Guerrier, qui vient de quitter la société qu’il gérait depuis près de dix ans, a de toute évidence du côté de l'écriture de nouvelles voies à parcourir.

Fabrice Drouzy

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Lech - Tyrol autrichien

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Lech - Tyrol autrichien

Birgit (Eva dans le texte) aux prises

du redouté Heilbronner Weg

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Sur la ligne frontière entre Bavière et Autriche

Cairn rappelant la mémoire de Hans Winkler

Blog: Les Passions de Chinook- 25 Mars 2015

     L’opéra alpin est le récit d’une traversée des Alpes hors des sentiers battus. Des forêts profondes de Neuschwanstein, en Bavière, aux collines parfumées de Bergame en Italie, l’auteur et sa femme ont tracé un itinéraire unique à leur convenance, loin des routes et de l’urbanisation. Un tracé assez technique : 400 km et 32 000 m de dénivelé positif et négatif en 23 jours. L’auteur sait de quoi il retourne puisqu’il s’agit de Gérard Guerrier, qui n’est autre que le directeur ( ex à l’heure où j’écris ses lignes) de la très grande agence de trekking : Alibert voyage.

Leur randonnée coïncide avec le début d’un voyage en Russie pour leur plus jeune fils, qui est guide de trekking.
Celui-ci va contacter son père à l’aide de son téléphone satellite, pour s’informer de la météo. Tout est inondé là-bas, il s’apprête à traverser une rivière en crue et promet de rappeler son père dès qu’il est de l’autre côté, chose qu’il ne fera pas.

Ce trek va être placé sous le signe de l’attente et de l’angoisse, car à mi-chemin Gérard (Léo?) va faire un rêve tellement violent qu’il le pense prémonitoire.

      Voilà un livre qui m’a emportée, malgré quelques petits problèmes linguistiques au démarrage. L’écriture de l’auteur est agréable. J’ai eu envie d’écrire « fluide » mais elle ne l’a été qu’en partie pour moi, car j’ai un reel problème avec les mots germaniques : je bloque comme pas possible dessus. Et forcément vu l’emplacement géographique de la randonnée et la nationalité de la femme  d el’auteur qui est allemande, il y en a quelques uns dans le texte.
Le site choisi pour le départ est magnifique puisqu’il s’agit du célèbre château de Neuschwanstein, construit par Louis II de Bavière.
Les paysages ont l’air sublimes, et une telle marche loin des sentiers battus me plaît énormément (dans l’idée) même si personnellement je ne m’engagerais jamais dans ce genre de trek, parce que j’aime avoir l’esprit libre pour apprécier le moment présent, et j’aime la sécurité d’avoir le sentier tracé dans mon guide ou sur le terrain. Partir droit dans la pente et se dire : j’espère que ça passera, il faut en vouloir quand même (même si Gérard avait fait des repérages sur internet avant de partir).

J’ai appris une chose dans ce livre: que le mot dénivelé pouvait être féminin! L’auteur dit : la dénivelée, cela sonne étrange à mes oreilles.

Une autre chose m’a posé problème : le prénom du couple ( l’auteur et sa femme donc) dans le livre il s’agit de Éva et Léo, alors que l’auteur s’appelle Gerard et sa femme Brigit ! Oui, je sais, il en faut peu pour me perturber, mais du coup je me suis demandée, tout au long de ma lecture, si ce livre était un roman ou bien un récit, comme je l’imaginais. Ce qui ne change rien à l’écriture en soi, mais j’aime bien savoir ce que je lis. Après vérification, il s’agit bien d’un récit.

L’opéra Alpin est le second livre de la collection voyage en poche de Transboreal que je lis, une collection que j’aime beaucoup, pour son prix poche qui n’enlève rien à la qualité de l’objet livre.

Un livre que je ne peux que vous recommander. Si les mots compliqués étrangers vous gênent, faites comme moi : glissez dessus. Attention quand même à bien rester sur le sentier, sinon la chute est garantie.

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Blog: Voyageons Autrement - 28 Novembre 2014

      Directeur général de l’agence Allibert, accompagnateur en montagne, Gérard Guerrier vient de dévoiler une nouvelle facette de ses talents avec la publication de son premier ouvrage retraçant la traversée des Alpes de la Bavière à Bergame, un itinéraire inédit qu’il « inventa » au grès des cartes et des boussoles accompagné de son épouse au cours de l’été 2013…

    Féru de poésie classique, amoureux de la nature, compagnon d’une musicienne reconnue, l’auteur allie à la marche une foultitude d’observations qui ponctuent chaque étape comme autant de voyages intérieurs, faisant de la traversée un voyage dans le voyage. Toutefois, très vite, la libération de l’esprit insufflée par la marche est « polluée » par des nouvelles inquiétantes du fils cadet parti guider une randonnée à l’autre bout du monde, dans la froide Sibérie orientale… Les jours passent sans nouvelles, faisant de la traversée une véritable épreuve psychologique, voire initiatique, et obligeant les marcheurs à une confrontation terrible avec l’incertitude. La montée en charge de l’angoisse est ici magnifiquement mise en parallèle avec la traversée de paysages vertigineux, des chemins de traverse absents des cartes et des itinéraires classiques.

      Pendant que les marcheurs ouvrent des chemins, l’absence du fils ouvre des abîmes d’incertitude et renvoie les époux à l’incommunicabilité de l’angoisse, entre non-dit difficiles, protection de l’autre et éternel fossé entre le féminin et le masculin quand il s’agit de s’ouvrir à l’indicible. A la fois hymne à la marche, déclaration d’amour à une montagne brute et rebelle, cet ouvrage truffé de références et d’anecdotes sur les régions traversées est aussi et surtout un magnifique manifeste pour la famille, quand la transmission de nos passions à nos fils vient nous taquiner dans ce qui nous est le plus cher.

Geneviève Clastre

Blog: Argoul - 27 mars 2017

       En juillet 2013, l’auteur et son épouse Eva partent de Neuschwanstein au sud de la Bavière pour rallier à pied Bergame dans le nord de l’Italie, via les Alpes autrichiennes et suisses, où ils parviendront en août. Ils prennent le plus souvent les itinéraires hors-pistes, se fiant à la carte, à l’altimètre et à la boussole. Ce trek au long cours est de moyenne montagne, même si les éléments font parfois friser l’alpinisme.

        Un exploit ? Non, une obstination. Il ne s’agit pas d’héroïsme ni de sport, mais de volonté. « 400 kilomètres et 32 000 mètres de dénivelée positive à parcourir en 23 jours. Cela fait une honnête moyenne de 18 kilomètres et 1400 mètres de montée par jour, soit 8 heures de marche en terrain facile et jusqu’à 11 heures en terrain montagneux. Rien d’héroïque, vraiment ! » p.140.

L’auteur, féru de montagne et d’itinéraire sauvages, cite volontiers Nietzsche qu’il aima à l’adolescence pour « la qualité de son écriture, son impertinence, son originalité ». Il ajoute, malicieux, « et puis louer le sulfureux philosophe, c’était envoyer promener ces bouffons de trotskistes, fumeurs de shit à la barbe naissante » p.150. Il ne cite pourtant pas l’aphorisme célèbre de Nietzsche, si bien adapté à son périple à pied : « là où il y a une volonté, il y a un chemin ». La solitude et le courage, ces vertus du philosophe au marteau, sont les vertus que l’auteur cultive volontiers.

     Sauf que l’on n’est jamais seul en montagne. Outre sa compagne, parfois plus lente et précautionneuse, mais qui marche comme un montagnard, le paysage riant, grandiose ou menaçant suivant le temps, les vaches paisibles, les plantes et les arbres selon l’altitude et le versant, les chèvres coquines, les bouquetins fantasques ou les marmottes vigilantes, les bergers ou les paysans, les randonneurs ou les promeneurs en famille – composent un milieu où la solitude n’est que toute relative. Car l’être humain n’est pas en-dehors de la nature, il en est une partie.

     Ne croyez pas non plus que le présent seul compte, un pas devant l’autre et le regard capturé par le bord du chemin. La grande histoire du choc des peuples dans ce carrefour des Alpes entre Allemagne, Autriche, Suisse et Italie se rappelle souvent au souvenir, jusqu’au dernier carré de miliciens de Darnan, capturé dans les Alpes italiennes.

      L’histoire personnelle vous suit, avec les enfants au loin. Même devenus adultes et construisant leur expérience personnelle de la vie, ils vous sont liés. Ainsi Misha, le fils cadet de 25 ans, devenu guide de montagne sur les traces de son père, qui baroude avec un groupe de trekkeurs avertis dans les étendues sauvages de Yakoutie. Il ne donne pas de nouvelles, le téléphone satellite russe ayant quelques éclipses. La météo là-bas est mauvaise, les inondations coupent l’itinéraire, l’autonomie en vivres est réduite. Qu’advient-il de Misha ? Un cauchemar d’une nuit le montre désespéré, agitant la main dans les eaux noires avec un appel d’enfant à son papa ; est-il prémonitoire ?

        Son aventure au loin court au fil des pages de l’aventure ici, comme si l’amour obéissait aux lois quantiques qui font que deux particules intriquées n’ont pas d’état indépendant, quelle que soit la distance qui les sépare. L’émotion du père pour son fils pilote le périple, rendant l’itinéraire de la Bavière à Bergame anodin, une promenade de vieux dans un paysage civilisé où le premier secours est à portée de téléphone. Ce qui offre une profondeur humaine à la randonnée, élevant la réflexion au-delà des belles images du chemin.

      S’il donne envie de partir, ce livre peut se lire aussi dans un fauteuil, l’imagination suppléant au réel. Verlaine et Hölderlin poétisent les étapes, Willy et Misha, les deux fils, donnent un avenir à l’aventure. Car le futur est passé, ce qui se passe maintenant la résultante de ce qui n’est plus. Gérard Guerrier se souvient de ce conte qu’il improvisait pour ses garçons petits, alors que sa femme jouait au violoncelle sur un disque de Dvorak. Les enfants se perdaient dans la forêt et le père mobilisait tous les animaux, avec chacun leur sens, pour les retrouver « il les aime tant ! » p.181. C’était un moment émouvant et familial, qui s’achevait par tout le monde blotti l’un contre l’autre sur le canapé, faisant nid contre l’hostilité du monde.

    

       Si le bonheur est à portée de pieds, puisqu’il suffit de cheminer dans la nature qui vous invite et vous aime, le tragique est que ce monde-ci n’est pas le paradis ; il est mêlé de bon et de mauvais, de réel et d’imaginaire. Si l’amour du couple est contenté, l’amour filial est tourmenté. Le vertige ne vous saisit pas seulement sur les crêtes, mais aussi au fond de vous. L’un comme l’autre sont illusions – mais ils font croire qu’ils sont vrais.

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Après Saoseo (Suisse), retour en Italie (Valteline)

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Désescalade du Pizzo Arera (Alpes bergamasques)

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Birgit (Eva) devant le Pizzo Arera

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Santiago, le vieux berger de l'Arera

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Rote Furka entre Autriche et Suisse

entre Piz Buin et Silvretta

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Le Jugement Dernier - Clusone

Alpes Bergamasques

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sur les hauteurs de Livigno

à peine passée la frontière italienne

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Entre Livigno et Saosseo

Retour en Suisse…

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Arrivée dans les Alpes bergamasques

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L'orage gronde… Mais le col est proche!

Citations

     Une fourmi a-t'elle conscience du temps? Ne mesure-t'elle pas plutôt sa vie en millimètres et centimètres parcourus, en charges transportées?

     Nous avons appris que le but c'est le chemin, comme aurait écrit le père Goethe, à moins que ce ne soit Ella Maillart, Sylvain Tesson ou un quelconque moine bouddhiste: un lieu commun.

      Une journée idéale en montagne commence ainsi obligatoirement par du plat. C'est fou comme on savoure chaque replat en montagne et comment on court après la moindre taupinière en plaine!

      Cette Italie de la fripe, du fric et de la frime, cette Italie blonde platinée n'est pas notre Italie... Cette Italie qui défile, qui porte des lunettes de soleil siglées malgré le soleil tombé, qui fait la roue dans ses habits de marque, c'est celle d'un Berlusconi décati et décadent. Une Italie corrompue de macs et de pouffiasses.
Détestation totale... Vite fuyons!

       Si le temps est irrésistible, il sait se montrer généreux pour les montagnards, pour ces hommes qui se contentent de peu.

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Piazza Vecchia - Bergame…

L'arrivée après 423 km de 32 000 mètres de dénivelée

Extraits

 Neuschwanstein

 

22 juillet 2013.

 

Une nuit de juillet, chaude et lourde, comme une bouffée de tropiques. La fenêtre est ouverte. Eva dort à mes côtés, à moitié découverte, un masque sur les yeux pour occulter la lumière blanche de l’éclairage public, des bouchons de néoprène vissés dans les oreilles. Je me tourne et me retourne, les draps collés par la sueur, incapable de trouver le sommeil.

   Impossible de dormir dans cet hôtel aux parois aussi fines qu’une cloison en paille de riz. À quoi bon, d’ailleurs puisque notre voisine chinoise, celle au grand sac Vuitton orange, profitant du décalage horaire, appelle sa fille ou sa cousine, depuis la petite terrasse commune, à Shanghai ou à Harbin, d’une voix forte et gutturale :

«  Cāi cāi wǒ dǎ diànhuà dì dìfāng ?

— …

— Nosh wan sta…

— …

— Shuì měirén chéngbǎo. »

   Sans doute vante-t-elle dans ce chaos de paroles la splendeur et les mystères de Neuschwasntein. À quoi bon protester, lui expliquer que nous devons nous lever aux aurores ? Comprendrait-elle même mon anglais ou mon allemand ? Fatigué de ne pouvoir m’endormir, je me lève, manque de chuter sur mon sac à dos, enfile un short, prends mes cliques et mes claques et me glisse dans la Schwangau Strasse. Cent mètres au-dessus de moi, perché au milieu de la forêt de sapins, se dresse le château de la Belle au bois dormant avec ses tours hautes comme des minarets, illuminé par une batterie de projecteurs dissimulés dans les arbres. L’immense parking au pied de la colline n’est plus qu’une esplanade vide dont le goudron restitue la chaleur accumulée pendant la journée. Plus une voiture ni un seul autobus, le silence a repris sa place…

Hans Winkler

 

25 juillet 2013

L’air mystérieux, Eva me fait signe d’approcher, côté allemand. Une grosse plaque de bronze, noircie par le temps et les intempéries, est scellée dans la roche :

 

« En mémoire de notre camarade de montagne

Tombé sur la face Ouest du Fuchskarspitze :

 Lieutenant Hans Winkler, le 25 juillet 1936 »

 

    Au bas de la plaque, l’aigle de la Wehrmacht, aux ailes déployées, enserre un globe dont la croix nazie a été effacée à coups de marteau ou de pierres. 1936, l’année des jeux olympiques de Berlin, du front populaire, de l’alliance entre les nazis allemands et les fascistes italiens. Une année où tout reste encore possible, où l’Europe respire encore, même si son souffle se fait de plus en plus court ! Malgré ce sinistre symbole, je suis ému par ce message d’outre-tombe.

(…)

   Hans Winkler, un enfant trop vite grandi, trop vite tombé. Je pense alors à Opa Willhem, le grand père de Eva, l’ancien caporal de la Wehrmacht, simple cuistot décoré de la croix de guerre de première classe pour avoir sauvé le rata sous la mitraille, prisonnier à Stalingrad, rescapé des camps russes ; peut-être grâce à ses talents pour arranger les restes ? Je pense à Opa Edmund, son grand-père maternel, mineur de fond sarrois, exclu de l ‘Église catholique pour militantisme socialiste, inquiété par les nazis mais jamais arrêté car trop précieux pour la production nationale de charbon. Je pense à Rudi, son oncle, qui pendant l’hiver 45, malgré ses seize ans, fut invité à signer, à la sortie du lycée, un engagement dans la Waffen SS, déguisé en service civique obligatoire. Hésitant, il demanda au recruteur à faire lire le contrat à sa mère avant de signer. Il évita ainsi une mort certaine.

   Que serais-je devenu si j’avais été un jeune montagnard bavarois, en 1936 ? Loin des traditions socialistes de la Ruhr ou de la Sarre, loin des grandes villes, des autodafés et des exactions contre les juifs, informé par les seuls journaux locaux, n’aurais-je pas, moi aussi comme Heinrich Harrer , comme, sans doute, Hans Winkler et ses camarades, été fasciné par les destins tragiques de Willi Merkl, de Alfred Drexel, de Willo Welzenbach tombés sur les granits du Nanga Parbat et célébrés par les nazis ? N’aurais-je pas été sensible à la propagande de l’Etat, aux appels du très respecté Hans von Tschammer und Osten, le ministre des sports du Reich qui glorifiait l’alpinisme comme un sport de seigneurs : « Pas besoin d’apprendre à l’alpiniste à combattre, car l’alpinisme, c’est le combat ».

Via Son Giachen

 

4 août 2013

 

Une affaire d’alpiniste, d’amateur de sensations extrêmes, de collectionneur de record ? Vous n’y êtes pas du tout. Une traversée pédestre des Alpes est avant tout une affaire de comptable. Posons le problème : 400 km et 32 000 mètres de dénivelée positive à parcourir en 23 jours. Cela fait une honnête moyenne de 18 km et 1 400 mètres de montée par jour, soient huit heures de marche en terrain facile et jusqu’à onze heures en terrain montagne. Rien d’héroïque, vraiment ! Comme des comptables de garnison, nous nous contentons donc de nous lever aux aurores, d’accorder nos métronomes, d’épargner nos pieds. Besogneux, disciplinés, chaque soir, nous lavons soigneusement nos chaussettes et nos sous-vêtements, en espérant qu’ils sèchent pendant notre sommeil.

    Pour réussir cette traversée, il faut accepter sa dimension d’insecte face à la montagne, se contenter de suivre régulièrement une ligne imaginaire où temps et distance se mêlent indifféremment. Une fourmi a-t-elle conscience du temps ? Ne mesure-t-elle pas plutôt sa vie en millimètres et centimètres parcourus, en charges transportées ? Surtout, tempérer son égo ; oublier le petit sommet à l’écart du chemin, réfréner sa curiosité et délaisser la petite chapelle à bulbe, le pittoresque hameau, situés à quelques kilomètres de l’axe. Obstinée, persévérante, la fourmi ne se laisse pas distraire, ne dévie jamais de son axe. Elle poursuit son chemin. Mais à la différence des fourmis, nous avons appris que le but c’est le chemin, comme aurait écrit le père Goethe, à moins que ce ne soit Ella Maillart, Sylvain Tesson ou un quelconque moine bouddhiste : un lieu commun. Tiens, voilà : notre traversée, c’est un lieu commun, accessible à tous les comptables, à toutes les fourmis de la terre pourvu qu’ils prennent le temps, qu’ils se donnent la peine et cessent de piétiner en rond.

   Ou non… La traversée, c’est plutôt un truc de maquignon. Le genre de bonhomme qui chicane sans fin, discute chaque bout de gras tout en observant la bête, qui mégotte chaque mètre de dénivelée ; un truc de pingre, de flemmard, qui devant chaque obstacle, invente le parcours le plus économe, le moins fatiguant, qui soupèse, marchande chaque décimètre vertical.

Nietzsche

« Léo, sais-tu que Nietzsche a écrit son Zarathoustra à quelques kilomètres de là

— Ah bon, où ça ?

—  Sils, juste au-dessus de Saint Moritz.

— Nietzsche, l’inspirateur des nazis !

— Toujours ton obsession… Tu ne peux quand même pas ramener toute l’histoire du monde à la seconde guerre mondiale !

— Ben le surhomme de Nietzsche ressemblait quand même pas mal aux héros nazis non ?

— N’importe quoi. Nietzsche glorifiait Goethe et Shakespeare.

— Napoléon aussi… Ma chère Colette ! »

Nous faisons semblant ainsi de nous disputer en traversant cette vallée de la haute Engadine qui enchantait le philosophe marcheur.

 

« Je suis, dit Zarathoustra, l’homme qui voyage,

qui gravit des montagnes ; je n’aime pas les plaines…

(« Le Voyageur »)

 

   Adolescent, les cours de philo, que nous dispensait un très médiocre professeur à nœud papillon, m’ennuyaient à mourir. Sans rien y connaître, je reprochais aux philosophes antiques, leur pensée embryonnaire, aux modernes leur charabia pédant, regrettant Rousseau et Montesquieu que l’on ne nous enseignait plus. Seul Nietzsche trouvait grâce à mes yeux. Même si j’étais loin de le comprendre, je louais la qualité de son écriture, son impertinence, son originalité. Et puis louer le sulfureux philosophe, c’était dire merde à ces petits cons de trotskystes, fumeurs de shit, à la barbe naissante alors que je commençais à peine à me raser la moustache. Nietzsche, c’était le choix de la solitude et du courage. Il lui en avait fallu pour assassiner Dieu dans l’Allemagne de Bismarck ! Devenu adulte, j’ai gardé de l’extravagant moustachu quelques idées simples, probablement simplistes, qui me guident encore aujourd’hui.

   En rupture avec les religions, j’avais été alors très impressionnée par sa théorie de « l’ Éternel Retour », inventée justement dans ces montagnes de Haute Engadine. Nietzsche propose que la vie se reproduit à l’identique, éternellement. Cette idée d’un mouvement perpétuel semble, a priori, absurde. Elle ne l’est pourtant guère plus que l’idée de réincarnation en des êtres distincts : veau, vache, cochon ou bien même d’une vie éternelle en compagnie des apôtres ou mieux de 70 ou 72 vierges aux grands yeux. Qu’importent ces balivernes ! Seule compte la morale de l’histoire : si notre vie se répète à l’infini, alors, plutôt que de pleurer les inévitables chagrins de celle-ci et chercher à éviter les épreuves en se satisfaisant d’un bonheur commode, d’un bonheur d’esclave, la seule attitude possible consiste à vivre pleinement le présent, de face, sans regrets, dangereusement.

 

« Le secret pour récolter la plus grande fécondité, la plus grande jouissance de l’existence, consiste à vivre dangereusement. » (Le Gai Savoir, Friedrich Nietzsche)

 

   Une philosophie rudimentaire, construite à coups de hache et de marteau, que j’ai sans doute transmise, inconsciemment, à Willi et à Mischa, au point que ce dernier a placardé l’aphorisme de Gaston Rebuffat dans sa chambre : « Accepter le risque de mort, c’est accepter la vie et aimer le danger, c’est aimer la vie. »

 

La mort… Encore la mort ! Toujours la mort !

 

Le Juge et l'Assassin

Quelques gouttes éparses commencent à tomber. Plutôt que descendre par la piste puis le goudron, nous choisissons de rejoindre un sentier qui se perd dans les alpages et la forêt en coupant dans une pente raide qui part juste sous la terrasse. Délivrés de tout souci, nous descendons allègrement lorsque nous entendons derrière nous le souffle court et haché d’une locomotive. Un étrange bonhomme, mince, étiré comme un chat abyssin nous dépasse. Il court plus qu’il ne marche, malgré une patte une peu raide, en lançant son bâton de bois devant lui. Son chapeau de bourgeois, à peine crassé, contraste avec le reste de sa mise : des chaussures de montagnards, un jean rapiécé et un maillot de débardeur, sans une tache. De son grand sac, à moitié vide et mal fermé, dépassent une bouteille de grappa, des saucissons, le journal du jour et son éruption indonésienne. Il nous salue avec un grand sourire découvrant une bouche largement édentée. L’animal a une tête d’oiseau, ou plutôt de Géo Trouvetou, l’inventeur un peu lunatique de l’univers Disney, avec des boucles de cheveux fous qui sortent de son petit chapeau, des yeux exorbités, presqu’hallucinés. En une fraction de seconde, les images de Joseph Bouvier, du Juge et l’Assassin, le fameux film de Tavernier, me reviennent en tête. Je revois l’aliéné, joué par Michel Galabru, errant la montagne à grands pas, à la recherche de jeunes bergers ou bergères à violer et égorger. Nous nous présentons, malgré tout. Le bonhomme prétend être propriétaire d’une soixantaine de vaches et d’une trentaine de chevaux dans le Valmora, le prochain vallon :

Pour l’viande ! Le lait et l’fromafe, f’est trop d’ travail pour n’homme feul ! »

    Il parle en mangeant ses mots avec un débit de mitraillette. Nous comprenons qu’il revient de Zambla Alta, où il a fait quelques courses.

« Tant d’ montée pour un coup d’grappa, faut aimer fa. » Se moque t’il de lui-même.

Piazza Vecchia

13 août 2013

 

La jeune fille croise ses mains sur le bas-ventre, comme pour protéger sa virginité. Les tresses de ses cheveux sagement coiffées sur les côtés, elle semble dormir d’un sommeil léger, prête à s’éveiller au premier bruissement d’aile, au premier rayon de soleil. Mais dans cette chapelle de marbre gris et rose, les oiseaux ne volent plus et seuls de timides traits de lumière pénètrent les étroites ouvertures. Allongée sur le marbre du tombeau, Médéa attend, confiante, le jour du Jugement Dernier, quand les cieux passeront avec fracas, et les éléments s’embraseront, pour rejoindre son père, enseveli à quelques mètres de là : Bartolomeo Colleoni. Le vieil homme, le capitaine d’aventure, le géant de la montagne qui prétendait descendre d’Hercule, pleura éperdument la perte de cette fille adorée, morte à quinze ans. Elle lui ressemblait tant ! On dit que lorsque Medea, expira un triste jour d’hiver 1470, son canari favori tomba raide mort du perchoir. Le condotiere prit soin alors d’embaumer le petit oiseau pour le glisser dans le cercueil de sa fille.

 

« Votre âme est un paysage choisi
Que vont charmant masques et bergamasques
Jouant du luth et dansant et quasi
Tristes sous leurs déguisements fantasques

Au calme clair de lune triste et beau,
Qui fait rêver les oiseaux dans les arbres
Et sangloter d'extase les jets d'eau,
Les grands jets d'eau sveltes parmi les marbres. »

(Clair de lune, Paul Verlaine)

 

   

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