Vol-Bivouac… Didier, Antoine, Chrigel et les autres

Cet été encore, « Chrigel » — contraction de Christian et Vogel/Oiseau — Maurer a remporté la Red Bull X Alps. Cette compétition, très largement médiatisée, consiste, en partant de l’Autriche, à traverser les Alpes avec la seule aide d’un parapente et de ses jambes. Les distances parcourues, en moins de deux semaines, dépassent les mille kilomètres !
Plus discret mais bien plus engagé encore : l’ancien prof de maths drômois, Antoine Girard, combinant parapente et alpinisme, pratique le vol bivouac en très haute altitude dans les Andes et en Himalaya, n’hésitant pas à survoler le Broad Peak à plus de 8400 mètres ou à poser sur les pentes enneigées du Spantik avant de redécoller dans des conditions extrêmes. Hallucinant ! Nous voilà à des années lumières des premiers parachutistes de Mieussy, du début des années 80, qui, couraient comme des dératés sous leurs chiffons. Avec une finesse de 2, ils devaient relever les jambes après le décollage pour éviter d’accrocher les sapins !
Seules alors, les deltistes pouvaient envisager le vol-bivouac. Mais rares étaient les volontaires ! Il fallait en effet maîtriser l’atterrissages à contre pente. Cela consiste à accélérer face à la pente pour laisser l’aile tangenter cette dernière avant de décrocher soudainement en poussant franchement.
La moindre erreur se payait cash ! Il fallait surtout être
capable, lorsque l’on vachait trop bas, être capable de
remonter vers une aire de décollage en portant l’aile et
son barda : 50 kg. Enfin, les candidats au vol bivouac
devaient accepter le risque d’un crash en altitude sans avoir
accès à un téléphone portable, puisque ceux-ci n’existaient
pas. Afin d’encourager les vocations, Didier Favre, le
champion suisse, et Hubert Aupetit, le rédacteur en chef
de Vol Libre Magazine, inventent en 1984 une compétition
ouverte à tous, consistant à parcourir 444 km dans les Alpes,
sans aucune assistance. Aucun risque d’enflure de l’égo :
aucun sponsor, pas de média hormis le confidentiel Vol Libre …
Juste une affaire de plaisir, de découverte et de dépassement
de soi. Le Cap 444 devient bientôt un Graal pour quelques
pilotes comme l’américain Eric Raymond, fameux pour ses
records d’altitude et ses acrobaties, qui débarque dans le
Haut Valais : « je ne retournerai en Californie qu’après
avoir décroché le gros lot ! » Il déchante bientôt pour
cause de météo et, sans doute, pour avoir sacrifié la légèreté
au confort. Voilà qui ne risquait pas de m’arriver !
Lors de ma tentative, je n’ai emporté ni réchaud, ni matelas,
me contentant de lait en poudre, d’un sac de graines et du
tapis des herbes. Décollant des collines provençales, j’ai rallié en trois jours les crêts du Queyras. Las. Epuisé par mon régime d’apprenti manequin, incapable de porter à nouveau mon aile au sommet de la montagne, j’ai jeté l’éponge après seulement 120 km. Je n’avais pas saisi que le vol-bivouaqueur était d’abord un forçat de la montagne !
En 1988, Didier Favre déçu par ces modestes résultats, décide de se consacrer entièrement à ce projet. Le Valaisan possède de solides atouts : la connaissance de la montagne, des mollets en béton, une impeccable technique d’atterrissage à contre pente et beaucoup de persévérance. Pendant 5 ans, malgré les coups durs, il va tenter, seul, cette traversée intégrale des Alpes ! En 1989, parti de Chamonix, il se luxe une épaule en arrivant sur les hauteurs de Nice pour avoir mal évalué la force de la brise de mer au-dessus d’une falaise. En 1990, parti de Fiesch dans le Haut Valais, sa migration croise à Briançon le chemin de deux crétins des Alpes qui lui volent une partie de son matériel, le clouant au sol. L’année suivante, une tempête nocturne déchire sa voile
à la frontière austro-italienne. L’été 1992, parti des hauteurs de
Nice, il rejoint après un mois et demi, les alpages du col de la
Furka. Fêté et célébré par ses amis, Didier, déconcentré et
empressé, s'élance avec fougue : un pas, deux, trois, quatre pas,
au cinquième, il est en l’air. Un dixième de seconde lui suffit
pour comprendre. Il a oublié de s'accrocher ! Le voilà bientôt
pendu par les bras à la barre de trapèze au-dessus du vide qui
grandit. Il n'y a qu'une chose à faire: tout lâcher avant qu’il ne
soit trop tard. Il percute brutalement une minuscule plaque
d'herbe, entre deux pierriers. L’aile vole seule… Elle s’en sortira.
Didier un peu moins bien avec un bras cassé. Il tirera de cette
expérience le vagabond des airs, publié chez Actes Sud.
Nullement découragé, il repart au début de l’été 1993 et
rallie enfin la Slovénie en partant de Monaco.
555 kilomètres de vol et deux mois de pérégrinations, dix ans a
près les premières tentatives de « migration » comme nous a
ppelions alors le vol-bivouac.
Didier* en concluait : "Si un homme, avec tout son matériel, peut traverser les Alpes en volant sans autre énergie que le soleil, il devrait pouvoir facilement se chauffer, s’éclairer et se déplacer en faisant de même. D’autant plus que l’on peut stocker l’énergie solaire dans des batteries ce qui n’a pas été mon cas. » Le Valaisan au grand sourire a ouvert ainsi la voie à Chrigel, à Antoine ainsi qu’à tous les libéristes désireux de vivre leur grande évasion, mais aussi à Bertrand Piccard et à André Borschberg, qui en 2016 ont bouclé le premier vol-bivouac autour du monde à bord de leur avion solaire…
Gérard Guerrier
*Le Graal dans le sac, Didier, l’ami des aigles et des bergères, consacre l’été 1994 à jouer au pilote d’essai pour son pote Laurent qui a développé une aile rigide à grand allongement. Premiers sauts de puce sur la dune du Pyla, premiers grands vols sur les contreforts du Valais. Le 5 août, lors d’un nouvel essai, l’aile casse et se replie sur son pilote, ne lui laissant aucune chance.


