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Tintin chez les soviets - juin 2007

 

Régulièrement, les agences de trekking sont accusées par des observateurs engagés, nouveaux hérauts des droits de l’homme, d’envoyer leurs clients dans des pays où règne la dictature : Tibet occupé par la force par les chinois (depuis octobre 1950), Myanmar (anciennement Birmanie) dirigée par la « pire des dictatures », etc.

La tentation, pour nous, est grande de « botter en touche » , avec l’élégance d’un Johnny Wilkinson, en répondant : « Le problème est si complexe qu’il est impossible de trancher. Au client de décider, selon sa conscience », ou « Faut voir, décider cas par cas, car il y dicta-dure et dicta-molle ».

Quant à moi, au risque de provoquer, ma réponse est sans ambiguïté : «A condition que la sécurité soit assurée, quel que soit le régime en place, il ne faut pas hésiter à voyager à pied et aller à la rencontre des autres ». Quitte à pousser le cochonnet un peu loin, je pense même qu’il aurait fallu randonner dans le Harz, la Forêt Noire de l’Allemagne de 1933  à 1939 et dans le Caucase, le Pamir de l’Union Soviétique du temps de Staline !

Comme Alain Le Ray, alpiniste valeureux et impeccable héros de la résistance française, disparu récemment qui, en 1930, avait pu observer Adolf Hitler lors d’une grande messe du nazisme : « Je n’aurais pour rien au monde renoncé à la chance exceptionnelle (…) d’entendre de près celui qui n’était plus l’agitateur inspiré, mais le terrifiant visionnaire… Je lisais à l’horizon de l’Est les prémisses de l’orage…Mes souvenirs me rendaient aveuglant le danger couru à court terme par mon pays anesthésié». Nous n’aurons jamais assez de Alain Le Ray !

Je suis un peu jeune pour avoir connu l’Allemagne nazie, mais j’ai eu la chance de voyager dans la Russie de Brejnev, la république Haïtienne de Baby Doc. Comme Le Ray, j’écris la chance, car chaque fois,  j’ai rencontré des gens formidables, fait le plein d’images et je suis revenu un peu moins ignorant qu’avant.

           - Un fameux académicien des Sciences de l’URSS avec des lunettes rafistolées de scotch et des chaussures aux épaisses semelles faîtes pour durer une éternité. Des épiceries réservées aux étrangers et aux cadres du parti, quand le peuple fait la queue dans la rue par -25°C pour obtenir quelques pains…

           - Un Baby Doc qui se promène en costume blanc immaculé, masquant son embonpoint, au milieu d’une foule en délire, dans Port au Prince ; entouré d’une armada de tontons macoutes qui se cachent derrière leurs Ray Bans et qui jettent aux miséreux des brassées de piécettes à la fin du cortège.  Des opposants qui baissent la voix pour évoquer un cousin emprisonné… 

Est il alors possible de voyager sans faire le jeu des oppresseurs? Le voyage à pied, parce qu’il est fait de rencontres de village en village, de rizières en rizières, parce qu’il est difficilement contrôlable par les autorités, parce qu’il est basé sur un réseau micro-économique qui profite directement à l’habitant se prête moins bien aux tentatives d’instrumentalisation du pouvoir en place.

Ainsi, plutôt que de se nourrir de « prêt à penser » ne vaut-il pas mieux partir à la découverte des autres, garder les yeux grand ouverts et construire son opinion ? L’histoire est souvent têtue : Albanie de Enver Hoxha, Corée du Nord de Kim Jung II, Irak de Saddam et maintenant bande de Gaza… Les boycotts, les blocus, les «vérités » assénées à grands coups de menton, n’ont-ils jamais profité qu’aux dictateurs et généré autre chose qu’ignorance, fanatisme, liberté d’opprimer et violence ?

Au boycott, aux blocus, aux tribuns accusateurs qui gardent les yeux bandés, ne faut-il pas préférer la liberté, l’ouverture, la conscience individuelle plutôt que collective, la lucidité, les rencontres… Et le plaisir de la marche ?

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