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Dolomites — Sepp Innerkofler

Difficile parfois d’échapper à son paysage, surtout quand celui-ci est somptueux… Le petit Joseph — diminutif Sepp — nait le 28 octobre 1865 dans la vallée de Sexten, à cheval entre les Dolomites et la Carinthie. Une contrée de lait et de miel assez large pour que le soleil puisse musarder entre une couronne de sommets. Il marque ainsi les heures à la manière d’un cadran solaire : Cima Dieci (sommet de dix heures), Undici, Dodoci, Una… avant de disparaitre derrière le Mont Paterno (Paternkofel) et les Trois Cimes (Drei Zinnen) de Lavaredo.

Chez les Innerkofler, on est éleveur de père en fils, mais aussi bucheron, scieur, tailleur de pierre… ou encore chasseur de chamois comme Johannes qui n’hésite pas à défier les parois verticales pour un beau trophée, ou même guide comme Michael, le « roi des Dolomites » qui, le premier a vaincu les Cime Ovest  et Piccola de Lavaredo. Sepp emprunte les traces de ses deux prestigieux oncles en ouvrant plusieurs voies difficiles, en III et IV, sur le Paterno et les Trois Cimes. Le voilà, à 25 ans, guide certifié par le Club Alpin Austro-Allemand. Si la première saison est un peu chiche : 200 Florins frappés du portrait de l’empereur Franz-Josef — le mari de Sissi — il double la mise l’année suivante : de quoi compléter amplement les revenus de la ferme, de la scierie et du refuge qu’il gère avec Maria, son épouse. L’entreprenant jeune homme construit ainsi avec ses premières économies un refuge, idéalement situé au pied du Paterno et des Trois Cimes : les Drei Zinnen Hütte, devenu aujourd’hui l’un des refuges les plus photographié et visités d’Italie. 

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Mais qui parle alors d’Italie ? Les Dolomites de ces premières années du XXe siècle sont largement tyroliennes et donc austro-hongroises, y compris les vallées italophone et ladinophones — une langue du groupe rhéto-roman — comme Cortina. Pas de quoi troubler les époux Innerkofler qui construisent un hôtel, Dolomiten, doté de tout le confort moderne, tout en élevant sept enfants. Un long fleuve tranquille…

 

Cette activité trépidante et cette prospérité bien méritée n’empêchent pas Sepp, germanophone et naturellement fidèle aux Habsbourg,  de remplir ses obligations de membre des Standschützen. Reconnaissables à leur badge à l’edelweiss et à leur chapeau à plume de tétras lyre, ces réservistes, trop âgés ou trop jeunes, complètent les Landesschützen — Gardes nationaux — et les Kaiserjäger — Chasseurs alpins. Mais, à la différence de ces deux derniers groupes, les miliciens des Standschützen ne peuvent pas être engagés en dehors de leur région.

 

Alors que le hachoir de la Première guerre mondiale s’est mis en marche, Sepp malgré ses bientôt 50 ans, reprend du service comme Zugsführer — équivalent de sergent. Le vieux guide reste cependant serein pendant cet automne 1914, puis cet hiver 1915. Si les Autrichiens combattent les Russes en Galicie, ils ne craignent rien sur leurs arrières. Ne sont-ils pas liés depuis 1882 aux Italiens et aux Allemands par la Triple Alliance ?

 

Mais la politique italienne, agitée entre les neutralistes et les bellicistes irrédentistes, n’est jamais un fleuve tranquille ! Au mois de mai 1915, le gouvernement d’Antonio Salandra, sans en avoir informé les représentants du peuple réputés neutralistes, dénonce l’alliance avec les empires centraux et déclare bientôt la guerre à l’Autriche-Hongrie et à l’Allemagne.  Le 20 mai, Innerkofler crée une « patrouille volante ». Parcourant sans cesse la ligne de front, c’est-à-dire la ligne de crête située au Sud de Sexten, leur mission est de repérer les mouvements des Italiens et diriger les tirs de l’artillerie. Les Alpini, bien préparés, ne se contentent pas de patrouiller ! Ils investissent rapidement et sans résistance, malgré les avertissements de Sepp Innenkofler à ses chefs, la plupart des sommets environnants dont le Paterno. Le guide autrichien voit ainsi son refuge, pourtant protégé par un drapeau de la croix rouge, transformé en ruine après quelques coups d’artillerie, deux jours seulement après la déclaration de guerre. Sepp, d’un naturel placide, ne s’en émeut guère : « Maintenant, Dieu merci, le soleil est de retour. Tout cela me semble plus intéressant que terrible et effrayant… »

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Enfin, à la mi-juin, le commandement autrichien, réalisant l’importance de « tenir les hauts », ordonne une contre-attaque pour reprendre le Paterno. La nuit du 3 au 4 juillet, une petite équipe de montagnards et de guides menée par Innerkofler s’engage ainsi dans la voie nord-ouest, ouverte par Sepp voilà 18 ans. Au petit matin, sous la protection de l’artillerie qui arrose les positions italiennes, ils débouchent sur les crêtes. Aussitôt Sepp déploie un drapeau jaune pour ordonner aux artilleurs autrichiens de cesser le feu. Sans attendre, il s’engage avec un camarade dans la dernière longueur, lance une première grenade qui fait long feu, puis une seconde sans plus de résultat…

 

Les versions divergent alors… Selon certains, Sepp aurait reçu une balle de mitrailleuse Schwarzlose en pleine tête. Selon d’autres, il aurait été touché par un feu ami. La version la plus épique est celle d’un alpino blessé par le lancer de la deuxième grenade. Rageur, dominant Innerkofler et le voyant désarmé, il aurait soulevé un rocher au-dessus de sa tête avant de le lancer. Sepp déséquilibré par le bloc serait tombé en arrière et précipité dans le vide : une chute de 50 mètres qui ne lui aurait laissé aucune chance.

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On dit que j'ai déjà vécu  plusieurs vies avec passion. Ingénieur-plongeur, dirigeant d’entreprise, accompagnateur en montagne, journaliste et écrivain… Depuis quelques années, je me  consacre principalement à l’écriture, aux voyages et à la montagne. 

J'ai  publié une dizaine de livres dont les derniers :

Rêves d'Icare — Pionniers et Aventuriers du vol non motorisé (ed. Paulsen)

Tirirou — le petit cochon de la montagne (ed. Mont Blanc) :  Champion de Ski — Secouriste

Le Seigneur des Ecrins (ed. du Mont-Blanc)

Du Courage — Éloge à l'usage des aventuriers et… des héros du quotidien (ed. Paulsen).

Eloge de la Peur (ed. Paulsen)

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© 2025    Textes, Vidéos et Photos Gérard Guerrier (sauf indication contraire)

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