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Saint-Loup, ou la tentation des faces Nord.
Un écrivain-montagnard égaré
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Dans ma bibliothèque, sur l’étagère dédiée à la mythique collection Sempervivum de chez Arthaud. Pierre Allain, Giusto Gervasutti, Samivel, Gaston Rebuffat, etc. voisinent avec un certain Saint-Loup : La montagne n’a pas voulu, 1949 et Monts Pacifiques, 1951. Cet auteur a signé d’autres livres comme Face Nord , toujours chez Arthaud, son premier succès en 1946, mais aussi Solstice en Laponie aux éditions du Contadour en 1938 ; La nuit commence au Cap Horn, chez Plon en 1952, ou encore Montagne sans dieu, La République du Mont-Blanc, etc.
Bref, un authentique écrivain de montagne à l’ère des knickers et des chemises en carreau.
Mais… Saint-Loup ? Trop beau pour être vrai ! Un nom de plume inspiré par Loup de Troyes, un évêque canonisé qui n’hésita pas à arrêter Attila et sa horde de barbares aux portes de la ville en les persuadant de sa protection divine. Il fut alors emmené outre-Rhin comme otage et bouclier humain. De retour sur les rives de la Seine naissante, le saint homme fut accusé de collaborationnisme par les Francs saliens qui l’exilèrent à une quinzaine de lieues de Troyes.
Notre Saint-Loup montagnard aimait ainsi croire que son injuste destin était similaire à celui du saint homme. N’avait-il pas, lui aussi tenté de repousser les hordes asiatiques avant de subir l’opprobre de ses contemporains ? Quelle blague ! Impossible, avec le recul de l’Histoire, de sanctifier notre écrivain-montagnard, à moins d’être aveugle ou nostalgique du IIIe Reich ce qui revient un peu au même.
Tout avait pourtant bien commencé : enfance heureuse dans une famille bourgeoise de Bordeaux, baccalauréat, études de droit : une trajectoire un peu trop rectiligne pour Marc Augier — puisque c’est son nom— qui préfère prendre la tangente avec sa moto 350 Saroléa pour se lancer dans des raids insensés à l’époque de la Croisière Jaune : Atlas, Sud Algérien, Balkans, Pyrénées, Alpes… Premiers contacts avec la montagne, premiers reportages. L’apprenti écrivain est inspiré par Guido Lammer qui exalte l’âme et le corps que l’on forge au contact du danger : « L’alpinisme nous permet de fonder un homme complet, il nous sort de l’arbitraire barbare pour nous élever vers une harmonie sœur de l’harmonie grecque. Pendant près de deux millénaires, le corps a été officiellement méprisé et assujetti comme un principe mauvais, la pensée monacale avait dissocié le corps et l’esprit… » (1922) Un écho aux écrits de Nietzsche : « Le secret pour moissonner l’existence la plus féconde et la plus grande jouissance de la vie, c’est de vivre dangereusement ! ». (Le Gai Savoir, 1882)
Alors que Hitler accède au pouvoir, le jeune idéaliste frappe à la porte du Centre Laïque des Auberges de Jeunesse (AJ… ses adhérents sont les Ajistes), une organisation d’inspiration socialiste qui, à l’instar du scoutisme, encourage les jeunes à partir sur les chemins pour vivre au contact de la pleine nature. Promu rédacteur du bulletin de l’association, il en fait une véritable revue tirée à plusieurs milliers d’exemplaires. Cette réussite attire l’attention de Léo Lagrange, l’impeccable sous-secrétaire d'État aux Sports et à l'Organisation des loisirs du gouvernement du Front populaire. Marc Augier est ainsi chargé de développer la pratique du ski auprès de la jeunesse. On a connu pire comme début dans la vie professionnelle !
Mais bientôt, l’idéalisme du jeune homme se heurte à la médiocre réalité : les jeunes préfèrent la bronzette, l’anisette et les bals aux élans héroïques et aux grandes bambées en montagne ! Qu’à cela ne tienne, après Nietzsche et Lammer, il se trouve un nouvel héros : Jean Giono, le pacifiste intransigeant, le chantre du retour à la terre. Marc Augier écrit : « les communistes adorent Lénine, nous avons Giono. A chacun son dieu. » Comment lui jeter alors la pierre ? Nous sommes nombreux à avoir succombé au verbe magique du prophète de Manosque.
Mais au-delà des collines de lavande et d’hysope, l’époque est implacable : guerre d’Ethiopie, guerre civile espagnole, procès de Moscou, Anschluss, accords de Munich… Marc Augier n’est pas du genre tiède. Inquiet de l’emprise grandissante du PCF, inféodé à Moscou, sur les Auberges, il succombe aux « idéaux » du nationalisme-socialisme après la lecture de La Gerbe des forces d’Alphonse de Chateaubriant. Cet écrivain reconnu croit déceler en Allemagne l’esquisse du renouveau européen : « «Hitler est avant tout un poète, un grand cœur et c'est pour l'homme de toutes les nations qu'il a réfléchi. » Un poète et un grand cœur !
Dès lors, tout s’enchaine avec une logique et une cohérence implacable. Devenu, après la débâcle, rédacteur en chef de La Gerbe, le journal ultra-collaborationniste créé par Chateaubriant, Marc Augier écrit dans l’édition du 7 novembre 1940 : « L'heure est venue de dire qu'Apollon et Pallas Athéné sont les images de l'homme et de la femme nordique, affirmation bien impossible au temps de la conspiration juive. » Apollon, un « métèque » olympien, assimilé aux dieux musculeux de la mythologie nordique : quelle confusion ! L’ouragan de la Deuxième Guerre mondiale emporte, corps et âmes, le montagnard exalté. Il fonde ainsi, en mai 1941, avec d’anciens « Ajistes » les Jeunes de l’Europe Nouvelle, dont certains membres, comme Guy Eclache à Grenoble, deviendront des tortionnaires, supplétifs de la Gestapo. La tornade se creuse encore après l’invasion de l’URSS par les troupes allemandes. Le militant pacifiste, persuadé que le véritable danger se trouve à l’Est, endosse la tenue feldgrau des Volontaires Français contre le bolchévisme pour combattre sur le front russe. Blessé à la cuisse, rapatrié, il reprend du service en 1944 auprès de la Waffen SS, comme correspondant de guerre, puis comme SS-Untersturmführer, rédacteur du journal de la Division Charlemagne ! Augier séjournera ainsi brièvement à Sigmaringen où se presse une petite foule de résidus de la collaboration comme Joseph Darnand, Marcel Déat ou même Céline rassemblés autour de Pétain, le vieillard cacochyme.
Un éclair de lucidité, bien tardif, permet à Marc Augier d’échapper aux armées alliées et à la police française. On le retrouve à Turin auprès de prêtres salésiens. Un comble pour un auteur qui, en bon Nietzschéen, n’a cessé de pourfendre les religions. Guidé par un moine, il rejoint le massif du Grand Paradis avant de passer la frontière en juillet 1945. Condamné à mort par contumace, il fait parvenir aux éditions Arthaud, le manuscrit de Face nord qu’il a écrit lors d’un séjour tyrolien dans le chalet de Leni Riefenstahl, la cinéaste préférée du Führer. Ce roman raconte les mésaventures d’un jeune chef de Jeunesse et Montagne, en quête d’idéal, qui cherche, à tout prix, à transformer ses recrues en surhommes au travers de l’alpinisme. Publié sous le pseudonyme de Saint-Loup, le succès en librairie est immédiat malgré les relents de l’idéologie nazie : culte du héros et détestation des Juifs représentés par une jeune recrue : Landau, évidemment vénal, faible et lâche !
Les avances sur les droits d’auteur permettent à Augier—Saint-Loup de prendre un billet d’avion pour le Brésil avant de rejoindre l’Argentine, refuge notoire pour les criminels et soldats perdus du nazisme. Bombardé lieutenant-colonel, il instruit les troupes de montagne argentines à la pratique du ski et à la haute-montagne… sans grand succès d’ailleurs. Qu’importe, il écrit et publie, toujours chez Arthaud, Les Monts du Pacifique, inspiré par sa découverte des sommets andins, puis son Best-seller : La montagne n’a pas voulu, un recueil d’accidents à l’issue heureuse quoiqu’improbable.
La Guerre Froide s’aggravant avec la guerre de Corée, il retourne en Europe en 1951. Après tout, n’a-t-il pas été un précurseur de l’anticommunisme, se défend-il. Il écrit alors La nuit commence au cap Horn, un roman qui relate la disparition des Onas, Yaghans et Alakaloufs, les derniers indiens de la Terre de Feu. Une agonie hâtée par l’arrivée d’un pasteur écossais qui s’est juré de les convertir. Pressenti pour le Goncourt, ce roman est écarté dès que le jury est informé du passé sulfureux de Saint-Loup/Augier.
Se rendant aux autorités françaises, il n’est condamné qu’à une légère peine pour intelligence avec l’ennemi. Lors du procès, il plaide : « Sans doute M. de Chateaubriant s'est trompé. Il n'a vu en Allemagne que le bon côté des choses, pas les petits détails. » Un point de détail de l’histoire que Jean-Marie le Pen reprendra, bien plus tard, à son compte…
Saint-Loup abandonne bientôt le filon de la montagne et de l’aventure pour se lancer dans l’héroïsation et la réhabilitation de ses anciens camarades de combat : LVF, Division Charlemagne, division Azul, etc. Augier a assez de talent pour magnifier de pitoyables péripéties en un drame épique. Il invente même sa propre vision de la SS : une préfiguration de l’Europe des régions aux racines anciennes et profondes. Même un « camarade de route », comme Dominique Venner regrette cet ultime épisode : « On sent que le romancier se force à être un doctrinaire. Les personnages perdent leur densité et leur vérité, deviennent des affiches et parlent comme des brochures de propagande. »
Augier dans ses derniers écrits ne montre ainsi aucun remord. Foncièrement raciste, il reste persuadé que le Nord est le creuset de l’homme supérieur et des valeurs positives, par opposition à la dépravation du Sud. Il deviendra ainsi l’un des maîtres à penser de l’extrême droite des années 70-80. Une dernière fois, contrairement à Frison-Roche, il choisit l’ombre des faces nord aux versants du soleil. Dommage, l’écrivain-montagnard vaut mieux que le piètre théoricien aux idées nauséabondes.
En savoir plus :
Face Nord, Saint-Loup, Arthaud, 1946
La montagne n’a pas voulu, Saint-Loup, ed. Slatkine, 1978
La nuit commence au Cap Horn, Saint-Loup, ed. Transboréal, 2015
Le versant de l’ombre : jeunesse, montagne et alpinisme chez Marc Augier, Emmanuel Nadal, ed. Babel, 2003
Marc Augier dit Saint-Loup, Gilles Modica, HS Montagnes Magazine N°407, 2014
Une mythologie européenne sous le signe de la croix gammée. Pierrick Deschamps, mémoire de Master, HAL, 2008
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