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Le grand Black

 

 

Il se tient là, immobile, droit comme un I, entre la Caisse Numéro 34 et la photocopieuse, non loin du vendeur de téléphones mobiles. Si, rappelez vous, l’ancien kiosque du cordonnier…

Immobile, droit comme un I, il arbore un sourire fatigué, impeccable dans son uniforme de vigile : chaussures cirées, pantalon à pinces gris, blazer bleu foncé orné de l’écusson de sa société. On dirait un collégien d’Eton trop vite grandi. Il essaie de se fondre dans son paysage de chaises de jardin empilées, de cartons de bouteilles de vins, de plantes vertes en acrylique. Non loin de lui, une vendeuse essaie de fourguer les derniers restes d’un réveillon déjà lointain ; quelques blocs de foie gras, des boites remplies de papillotes, des panettones à moitié rassis. Des ménagères poussent, l’air las, de gros caddies en regardant leurs montres, des « djeunes » habillés de doudounes et de casquettes se bousculent en rigolant, à la recherche d’un pack de bière.

Personne ne lui prête attention. D’ailleurs, un « black », agent de sécurité ; pourquoi s’étonner ? Le haut parleur annonce pour la dixième fois de la journée: « Promotion spéciale sur les brioches Pasquier : pour deux paquets achetés, un paquet gratuit ! »

Un black ?... Et alors ? Un black parmi tant d’autres.

Lui, regarde devant, du haut de ses presque deux mètres. Droit, comme un I, il regarde loin devant lui, au delà des poutrelles en acier du centre commercial, au-delà de cet environnement pourrave où s’amoncellent des magasins miteux, au-delà de cette ville qui votait FN, il n’y a pas bien longtemps, au-delà de la mer… Loin, loin, devant lui…

Il voit les sables de Mauritanie entre Ouadane et Chinguetti, l’oasis de Terjit, au gout de paradis ; un paradis abandonné par les randonneurs, par les amoureux du désert. L’homme bleu, le seigneur des déserts, mon ami… Un gentleman en costume de collégien. Il prend les choses avec fatalisme et  se réjouit même d’avoir trouvé si facilement ce travail. Il faut bien vivre… jusqu’à demain.

Demain, demain… On verra.

 

 

Ps : toute ressemblance avec des situations ou des personnes existantes n’est pas réellement fortuite

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