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Marcel Couturier, l’homme qui a vu l’homme qui a vu l’ours, mais pas que…

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Marcel Couturier avec l’ours qu’il tua à l'été 1953 dans la vallée d'Aspe

Collection André Couturier

Les chasseurs, premiers écologistes de France ? 

Un oxymore ou, à minima, un contraste qui ne date pas d’hier comme en témoigne le parcours du docteur Marcel Couturier (1897-1974).  

 

Stature élancée, fines binocles d’intellectuel, cheveux soigneusement tirés en arrière : une tête de premier de la classe que ne dément pas son parcours ! Major de l’internat de médecine, chef de clinique chirurgicale des hôpitaux de Grenoble, docteur es sciences de l’Université, mais aussi écrivain-naturaliste compulsif et ouvreur — le 1er juillet 1931 avec Armand Charlet et Jule Simond, du couloir nord de la Verte, baptisé de son nom.

 

Marcel Couturier est venu à l’alpinisme par… la chasse.  L’été 1924, le tout jeune médecin effectue un remplacement dans le Valjouffrey pour soigner une fillette. Reconnaissant, le père de la petite patiente l’invite à participer à une chasse au chamois. Il contracte alors le virus du Nemrod qui le tourmentera toute sa vie et signera, 25 ans plus tard, un livre devenu objet de collection pour les chasseurs  de montagne : Sur les traces de mes 500 chamois en France… 500 chamois trucidés, bien évidemment !

 

Un viandard, le docteur Couturier ? Ce serait mal le connaître cet amoureux de la nature, qui au cours de ses 36 années d’observation a accumulé une connaissance unique sur la faune de nos montagnes. Anatomie, morphologie, biologie, mœurs, histoire, méthodes de chasse… rien ne lui échappe, à tel point que sa monographie sur le bouquetin comporte plus de 1500 pages ! Ses descriptions sont toujours précises et parfois délicieuses comme ce bref passage pour décrire les jeunes chamois : « Au bout de dix à quinze jours, le jeune animal commence à arracher, comme par distraction, quelques brins d’herbe (…) Séparé de sa mère, le chevreau âgé d’un mois ou deux est complètement désemparé. Il bêle continuellement et, dès qu’il aperçoit un corps en mouvement, il se précipite à sa rencontre en croyant qu’il s’agit d’elle. » Tout juste peut-on lui reprocher un esprit vétilleux à l’extrême quand il précise qu’il a dû brûler 2377 cartouches et parcourir 793 500 mètres de dénivelées pour « s’emparer » de ses 501 chamois !  L’amour des records ?

 

Sans cesse, le bon docteur Couturier qui donne de son temps bénévolement à la Croix Rouge sera tiraillé entre sa passion irrésistible pour la chasse et son amour de la nature.  Ne reculant pas devant la contradiction, il continue ainsi à chasser l’ours dans les Pyrénées tout en regrettant sa disparition dans les Alpes. A l’orée du XXe siècle, qui devait apporter paix et progrès, il suffit en effet de quelques décennies pour que ce noble animal, symbole du massif du Vercors, disparaisse. Pourtant à la fin du XIXe, Henri Frédéric Faige Blanc (1811, 1901), alias Alpinus, un autre fameux écrivain-chasseur de montagne, s’était auto-persuadé que « le Moucherotte fournira toujours des ours… » grâce à « ses dédales de rochers » et « les flots d’une véfgétation de baliveaux tordus et de broussailles mal peignées. » La réalité — et la myopie des Hommes — devaient hélas le contredire ! Ainsi sur les seules années 1873 et 1874, six ours  seront tués sur les versants du Moucherotte, neuf au Sud du Vercors et cinq dans le massif de Belledonne, sans même compter les oursons capturés pour devenir des bêtes de foire !

 

Il revient aux Bas-Mauriennais le douteux privilège d’avoir occis le dernier ours des Alpes. Ce 13 août 1921, le cafetier du village de Montgellafrey, Séraphin-Joseph André, monte avec Théodule, son père, et un ami, au col de Monjoie qui surplombe à 2000 mètres celui de la Madeleine. Un ours, dit-on, y aurait attaqué des brebis. A peine la bête repérée, ils s’en approchent avec précaution, en se cachant derrière des blocs de rocher. Arrivés à 50 mètres ils ajustent leurs deux fusils à canon rayé et une antique pétoire à broche. Tué sur le coup, l’ourse — car c’en est une — s’écroule. Ils la descendent en traineau au village avant de la vendre au boucher de la Chambre. Une bonne affaire ! La femelle adulte entièrement vidée pèse, en effet, plus de 120 kg. Quelques années plus tard, le docteur Couturier, en observant l’ossification des sutures du crâne et l’usure des dents, déclarera qu’il s’agit d’une femelle trop âgée pour porter. Ouf ! L’honneur est sauf…

 

Marcel Couturier, dans un article paru en 1942, donne quelques informations sur la dernière observation d’un ours alpin. Cet été 1937, au hameau du Château à Saint-Martin en Vercors. Julien-Daniel Arnaud menait son troupeau dans un pré, accompagné de ses deux enfants. Soudain, il aperçut une « bête sombre » à 50 mètres de ses bêtes. Un sanglier ? Aussitôt, il lâche son chien qui revient bien vite, la queue basse entre les jambes de son maître. André-Julien distingue alors clairement les grosses pattes velues, les longs poils roux de la bête, qui sans presser le pas poursuit son chemin vers le bois et le pas de l’Allier. Quelques jours plus tard, on devait relever des traces d’ours près de Corrençon. Optimiste, le docteur Couturier concluait dans son article daté de 1942 : « l’Ours fait encore partie de la faune des Alpes françaises »…

 

Les années passant, le chasseur naturaliste comprend mieux l’impact des hommes sur le milieu naturel. Alors que la seconde guerre mondiale bat son plein et que le Vercors devient une terre de résistance, il milite pour la création d’un Parc National de Savoie accolé au parc du Grand Paradis. Il y a urgence car le parc italien, livré à l’anarchie de la république sociale Italienne, entre 1943 et 1945, ne compte plus que 400 têtes de bouquetins à la fin de la guerre, contre 4 000 en 1934.

 

Toute en continuant à chasser et à écrire, Couturier poursuit sa croisade dans les années 50, insistant pour que ce parc protège toutes les espèces : chamois et bouquetins, bien entendu, mais aussi lièvres variables et tetras-lyres ainsi que les « nuisibles » : renards, serpents, mustellidés, rapaces et même les plantes qui jouent tous un rôle essentiel dans l’équilibre biologique. Cet écologiste de la première heure ne veut pas d’un parc, à l’image de la Réserve de la Bérarde, qui ne préserverait que des glaciers, moraines et clapiers :  « Nous devons voir grand d’emblée. L’expérience des autres montre qu’il est très difficile d’étendre un parc existant. »

 

Mais chassez le naturel…En 1962, accusé de braconnage au moment même où s’ouvre l’enquête publique pour la création du parc national de la Vanoise, il comparait devant le tribunal de Chambéry, qui le condamne à un mois de prison avec sursis et prononce la confiscation de sa voiture, de son arme et le retrait du permis de chasser pour deux ans. Impénitent et récidiviste avec des chamois abattus dans la réserve du Combeynot (Hautes-Alpes) il est à nouveau condamné en 1965 par la cour d’appel de Grenoble.

 

Alors Marcel Couturier, premier écologiste de France ?

 

 

Bibliographie

 

Le Montagnard — Revue de l’Association National des Chasseurs de Montagne — n°43 – Décembre 2013

 

https://histoire-environnement.org/COUTURIER-Marcel-1897-1973

 

Les ouvrages de Marcel Couturier, non réédités, se trouvent sur le marché de l’occasion, souvent à des prix élevés. Par exemple :

 

  • Le gibier des montagnes françaises, Marcel Couturier, Sempervivum Arthaud, 1964

  • Sur les traces de mes 500 chamois de France, Marcel Couturier, Arthaud, 1949

  • L’ours brun, Marcel Couturier, ed. Grenoble, 1954

  • L’ours brun dans les Alpes françaises, Marcel Couturier, Revue de Géographie Alpine, 1942 (note : article disponible sur le site www.Persee.fr)

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On dit que j'ai déjà vécu  plusieurs vies avec passion. Ingénieur-plongeur, dirigeant d’entreprise, accompagnateur en montagne, journaliste et écrivain… Depuis quelques années, je me  consacre principalement à l’écriture, aux voyages et à la montagne. 

J'ai  publié une dizaine de livres dont les derniers :

Rêves d'Icare — Pionniers et Aventuriers du vol non motorisé (ed. Paulsen)

Tirirou — le petit cochon de la montagne (ed. Mont Blanc) :  Champion de Ski — Secouriste

Le Seigneur des Ecrins (ed. du Mont-Blanc)

Du Courage — Éloge à l'usage des aventuriers et… des héros du quotidien (ed. Paulsen).

Eloge de la Peur (ed. Paulsen)

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