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Jeunesse et Montagne
Les Aiguilles Rouges - 1943

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Depuis le col des Montets, le sentier se raidit et se tortillonne pour apprivoiser une pente moyenne qui dépasse les 40°. Les mollets durcis après 400 mètres de dénivelée, la pente devient plus docile à l’approche du Grand Balcon Sud.  Profitant d’une traçouille qui domine une série de barres rocheuses, j’abandonne la file des promeneurs pour rejoindre le lieu-dit « la Remuaz ». Non loin de là, surmontée par une croix, une plaque fixée dans le granit : « ici sont tombés, victimes de leur devoir et de la montagne, huit volontaires de Jeunesse et Montagne »…

 

Mercredi 24 novembre 1943.

 

René, le chef de l’équipe Ruby du Centre de formation J.M. — Jeunesse et Montagne — est songeur. Le ciel gris-jaunasse et le vent du Sud, sans doute… On annonce même de la neige ! Mais aussi l’aggravation des conditions de l’occupation. Plus question pour « ses » jeunes  de finasser après leur service chez J.M.  Une fois leur convocation du STO en poche, avec les boches qui ont remplacé ces emplumés d’Italiens, ils n’auront plus d’autre choix qu’un séjour en Allemagne, le maquis ou… la milice ! Pas facile d’y voir clair, même si les Soviétiques viennent d’entrer à Kiev, si les maquis de l’Ain et du haut-Jura ont défilé le 11 novembre en arme et en uniforme à Oyonnax ! Mais pour le moment, ce sont bien les boches, qui ont viré ces emplumés d’Italiens, qui paradent dans les rues de Chamonix…

Une dernière fois, René vérifie l’itinéraire sur sa carte d’état-major et se rassure. Cette « marche à l’insigne », bien méritée après un mois de classe à couper du bois et restaurer un chalet, est une promenade de santé : 2H30, 3 heures au pire pour rejoindre le nouveau refuge du lac Blanc à 2352 m : à peine mille mètres de dénivelée. Ils seront de retour bien avant la nuit ! Oui, une promenade de santé pour ses gars, des jeunes de dix-neuf ans, même si la plupart, des méridionaux sans aucune expérience de la montagne, n’ont rejoint J.M. que pour échapper aux Chantiers de Jeunesse.

Enfin, les 16 jeunes, les plus vaillants de son équipe, sont prêts. L’équipement reste sommaire : pantalon de golf kaki, anorak vert en toile de coton vaguement imperméabilisé et chaussures de montagne aux semelles bien trop lisses. Bah, la neige est encore bien haut ! La caravane s’ébroue lentement. Trop lentement au goût de René. Mais comment faire sinon régler la vitesse du groupe sur celle des moins sportifs et montagnards ! Enfin, après trois heures de marche, ils arrivent aux lacs des Chezerys. Pas le temps de profiter du paysage. D’ailleurs celui-ci est noyé dans le brouillard et la neige mouillée qui commence à les gifler car le vent est passé au Nord-Ouest. « Nous sommes très en retard sur l’horaire. » s’émeut Norbert, le seul montagnard du groupe. « Ne faudrait-il pas faire demi-tour ? » René hésite : « Dans une demi-heure, nous pouvons être au refuge. On pourra s’y abriter et attendre la fin de l’averse. »

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

                                             © Fond photographique Blanchon — anneesdeguerre.blogspot.com

 

Pas facile de grimper la dernière pente raide avec ces godasses pourries ! Ils arrivent enfin en vue du refuge, encore en construction, une heure plus tard. S’abritant tant bien que mal, sans pouvoir allumer le poêle, ils sortent du sac leur maigre casse-croute : du pain gris et quelques tranches d’un saucisson trop gras — restrictions obligent —, en attendant que la tempête passe. La tempête ne passe pas ! Le lac n’a jamais aussi bien mérité son nom : tout est blanc.  Alors que l’heure tourne — Il est bientôt 16 heures — René s’interroge : s’ils restent là, ils ne pourront bientôt plus sortir tant l’épaisseur de neige devient importante, sans même compter le risque d’avalanche. « Assez perdu de temps, il faut descendre ! »  Le chef d’équipe donne ses ordres à un tout jeune chef de patrouille : « Tu suis les traces de montée… et tu descends le plus rapidement possible, je te rattrape après avoir remis un peu d’ordre et fermé le chalet. »

 

Les treize jeunes descendent ainsi à marche forcée vers les lacs de Chezerys. Une descente acrobatique. Plus d’une fois, des jeunes glissent sur les dalles… Mais personne ne rit. D’ailleurs, la nuit commence à venir. La trace ? Quelle trace ? La neige a tout recouvert ! Alors, plutôt que de descendre dans l’obscurité le dédale de barres rocheuses qui mène à l’Argentière, le groupe préfère rester sur le Grand Balcon qui mène aux pentes raides dominant le col des Montets. Une combe facile leur permet de perdre encore une centaine de mètre. Mais dans l’obscurité, perchés à la verticale de barres rocheuses, ils doivent se rendre à l’évidence. Ils n'iront pas plus loin. Malgré leur manque d’expérience, ils improvisent un bivouac dans une anfractuosité rocheuse en tentant de construire un mur de neige pour se profiter du vent qui souffle en rafale. Le chef René, et les trois copains laissés au chalet, vont arriver d’une minute à l’autre. C’est sûr. Sinon, les équipiers du centre de Montroc, inquiets de leur absence, déclencheront les secours…

 

Au centre de Montroc, Le chef de centre, Robert Thollon, improvise à la nuit tombée une caravane de secours avec des guides, des moniteurs et les équipiers les plus montagnards. Il faut faire vite car les conditions météorologiques loin de s’améliorer, empirent. Arrivés au pied des barres rocheuses, ils établissent un premier vocal contact avec les jeunes dans l’obscurité, mais doivent rebrousser chemin devant la violence des éléments et la menace des avalanches.

 

Pour les jeunes, la nuit est atroce… Et le chef René qui ne vient pas…

 

Ce n’est que le lendemain matin qu’ils sont rejoints par la caravane de Montroc. Cinq jeunes n’ont pas survécu. Trois autres, en hypothermie sévère, ne supportent pas l’interminable descente dans la tempête qui ne cède pas. Seuls cinq rescapés sont admis à l’hôpital de Chamonix pour quelques gelures aux pieds et aux mains.

 

Quelques jours plus tard, une longue procession s’étire dans le fond de vallée, recouvert par une épaisse couche de neige, entre Montroc et le cimetière d’Aregtière. Les enfants de chœur eu aube blanche, portant des croix, mènent le cortège, suivis de près par trois prêtres, coiffés de leurs barrettes,   en surplis, chasuble et étoles suivis par des J.M tirant les huit cercueils recouverts d’un fanion tricolore, puis par d’autres camarades portant de grandes couronnes de fleurs. Un peloton de soldats de la Wehrmacht et de douaniers allemands devance une fanfare de J.M. précédant une longue colonne de civils : des guide de la Compagnie et des habitants… Arrivés devant le cimetière d’Argentière, les autorités se découvrent pendant qu’une section de GMR — les mêmes qui attaqueront les maquisards des Glières aux côtés de la Milice et des Allemands— présente les armes…

 

On ne retrouvera les pauvres restes de René et de ses trois camarades que trente mois plus tard dans les très raides pentes dominées par la Tête aux Vents. Sans doute, épuisés et attirés par l’apparente proximité de l’Argentière, ont-ils voulu, contrairement à leurs camarades,  couper au plus court avant d’être emportés par une avalanche…

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On dit que j'ai déjà vécu  plusieurs vies avec passion. Ingénieur-plongeur, dirigeant d’entreprise, accompagnateur en montagne, journaliste et écrivain… Depuis quelques années, je me  consacre principalement à l’écriture, aux voyages et à la montagne. 

J'ai  publié une dizaine de livres dont les derniers :

Rêves d'Icare — Pionniers et Aventuriers du vol non motorisé (ed. Paulsen)

Tirirou — le petit cochon de la montagne (ed. Mont Blanc) :  Champion de Ski — Secouriste

Le Seigneur des Ecrins (ed. du Mont-Blanc)

Du Courage — Éloge à l'usage des aventuriers et… des héros du quotidien (ed. Paulsen).

Eloge de la Peur (ed. Paulsen)

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© 2025    Textes, Vidéos et Photos Gérard Guerrier (sauf indication contraire)

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