Femmes et Hommes Volants de l'Everest
Une fois le sommet atteint, il semble absurde de s’imposer un chemin de croix avec ses étapes obligées : l’insupportable embouteillage du ressaut Hillary, le plus haut cimetière du monde au col Sud ou encore la roulette russe du Khumbu Icefall ?… Oui, pourquoi s’infliger un descente interminable quand on peut décoller du sommet et, après quelques minutes de vol, atterrir avec élégance et sourire aux lèvres, au camp de base ou mieux encore à Namche Bazar ?
Malgré ces attraits évidents, les statistiques sont formelles : pour mille Everest summiters, on compte moins d’une femme ou homme volant !
- 6 mai 1970 — Le Japonais Yushirō Miura descend à ski la très raide pente ouest qui file sous le col Sud. Dépassant les 150 km/h, il ouvre un hémisphérique pour se ralentir avant de chuter en vrac sur la glace vive et sauter une barre rocheuse. Il s’arrête enfin après plus de mille mètres de chute que l’on peut qualifier de « presque libre » ! Yushirō deviendra en 2013, à 80 ans, le plus vieil homme à avoir atteint le sommet de l’Everest.
- Automne 1986 — Une équipe américaine comprenant le recordman de distance, Larry Tudor, tente l’ascension tibétaine de l’Everest pour y décoller en . Des tracasseries douanières retarderont considérablement l’expédition. Alors que l’hiver approche, les jet streams descendent toujours plus bas, interdisant tout décollage en haute altitude. Afin de ramener quelques images et satisfaire les sponsors, Steve McKinney décolle à ski, 200 m au-dessus du West Ridge, à 7200 m,avant de sefaire chahuter et atterrir brutalement sur la moraine du camp de base.

- 1990 — Le guide de Haute-Maurienne Jean-Noël Roche et son fils Bertrand, alias Zebulon, âgé de dix-sept ans décollent en parapente du col Sud en . Bien avant de se convertir au vol en famille, Jean-Noël, en 1984, avait tenté, en compagnie de Pierre Beghin, de décoller du Camp II du Dhaulaghiri, à plus de 6000 m. Une rafale de vent a soulevé son parachute — car les parapentes étaient alors des parachutes de saut, à peine modifiés —avant même qu’il ait eu le temps de s’attacher.Retenant sa voilure, à bout de bras, il finit par lâcher les suspentes avant de la voir s’envoler vers une vallée lointaine.
- 1998 — L’alpiniste russo-ukrainienne — et oui, à l’époque c’était banal… — Elvira Nasonova,tente un décollage enavec son instructeur au-dessus de la cascade de glace du Khumbu.Une rafale les déséquilibre au décollage… Les deux parapentistes chutent de 50 m.Le pilote s’en sort sans trop de dommage mais Elvira est grièvement blessée. Elle attendra trois jours sur le glacier avant d’être évacuée par hélicoptère.
- octobre 1991, deux montgolfières s'envolent vers l'Everest. L'une d'elles survole le sommet à près de 10 300 mètres d'altitude avant de tomber en panne de brûleurs. Bientôt des câbles soutenant la nacelle, malmenés par les turbulences, finissent par céder… Le ballon passe de justesse à la verticale du col Sud avant de descendre vers le plateau tibétain. L’autre ballon, après avoir épuisé sa réserve de gaz, dérive vers le même plateau tibétain avant d’atterrir sur une moraine à 35 km/h. Les pilotes sont brutalement éjectés, l’un d’eux, le pied pris dans un cordage, est trainé jusqu’à un pierrier avant qu’il puisse se libérer.
- 21 mai 2001 — Zeb Roche, encore lui, et Claire Bernier, championne d’Europe, décollent en , dix mètres sous le sommet de l’Everest dans des conditions idéales avant de rejoindre le camp de base, côté Tibet. Ce vol en tandem fait partie d’une série consacrée aux sept sommets les plus hauts de chaque continent, dont le McKinley en Alaska et le Mont Vinson en Antarctique.
- 2002 —L’alpiniste néerlandais Wilco van Rooijen tente l’ascension en vue d’un décollage en . Alors qu’il dépasse le camp III, l’aile encore dans son sac est emportée par le vent…
- 2004 — L’italien Angelo d’Arrigo se fait remorquer avec son depuis l’altisurface de Namche Bazar par un ULM pendulaire (mais est-ce encore du vol libre ?). Il atteint ainsi l’altitude de 8990 mètres avant que le câble de remorquage ne casse. Subissant de fortes turbulences, alors que le ciel se referme sous ses pieds, il ne peut rejoindre Namche Bazar…et atterrit assez durement non loin d’un centre de recherche italien situé au pied du Lobuche.
- 21 mai 2011 — Deux Népalais, Lakpa Tsheri Sherpa et Sano Babu Sunuwar décollent en de la face nord du sommet de l’Everest. Après un vol de 42 minutes ils atterrissent sur l’altisurface de Namche Bazar (3750 m) située à plus de 20 km. Ils enchainent alors avec un périple d’un mois en kayak qui, depuis la rivière Kosi, les mène jusqu’au Gange puis à l’Océan Indien. Leur plus grande peur a été de voir sur la plage des scorpions géants… des crabes !
- 5 Mai 2013 — Le russe Valery Rozov saute en à 7220 m depuis la face Nord de l’Everest avant d’atterrir à 5590 m sur le glacier Rongbuk. Il décède 4 ans plus tard, sur les pentes de l’Ama Dablam.
Cette extrême rareté est due à une combinaison de facteurs (très) défavorables qui rendent tout décollage et vol à 8800 mètres extrêmement hasardeux .
- Le plus évident : le poids de l’équipement, est facilement résolu aujourd’hui. Avec 4 ou 5 kilos, il est désormais possible d’emporter un parapente et un harnais. Plus compliqué avec une aile delta… Mais avec quelques gros billets, il doit être possible de faire équipe avec des porteurs d’altitude…
- Moins évident, par contre de maîtriser les conditions atmosphériques ! Si un alpiniste, à l’abri dans sa tente quatre saisons, peut survivre à des vents dépassant 100 km/h, cela n’est pas le cas d’un parapentiste ou deltiste suspendu sous sa voile. Ces forts vents d’altitude, combinés à des contrastes thermiques détonants, génèrent en effet des turbulences XXL avec des ascendances et dégueulantes qui dépassent facilement 20, voire 30 m/seconde!
- A ces difficultés, se combine un petit problème de physique… La densité de l’air au sommet de l’Everest ne représente en effet qu’un tiers de la densité de l’air que l’on respire sur la plage de Menton. La portance d’une aile étant proportionnelle à cette densité et au carré de la vitesse, les vitesses de décollage et d’atterrissage à 8800 mètres devront être augmentées par un facteur de 1,73 (racine carrée de 3). Ainsi un parapente devra décoller avec 40-45 km/h de vent relatif et un delta classique avec 50-55 km/h. Impossible de courir à cette vitesse, même pour Usain Bolt, handicapé par une épaisse combinaison et des chaussures d’expé, le tout dans une neige profonde ! Une brise de face de 25 à 40 km/h est ainsi indispensable à tout candidat au décollage depuis le sommet…
- Enfin, il faut compter avec la probabilité non négligeable de se vacher loin de l’objectif comme l’a vérifié, à ses dépens, Angelo d’Arrigo. Il suffit que le vent en basse couche forcisse un peu avec les brises thermiques, que le rideau de nuages se referme pour imposer un changement d’itinéraire et se retrouver au sol loin de toute présence humaine. Mieux vaut alors soigner son atterrissage !
Pour voler depuis l’Everest, il faut, bien sûr, avoir quelques notions d’alpinisme, être en bonne forme physique, bénéficier de conditions atmosphériques exceptionnelles, être un excellent pilote paré à tous les coups durs, mais plus encore avoir un très gros cœur ! D’ailleurs, si cela vous tente, le premier vol depuis le sommet en aile delta, en BASE ou en speed riding, restent encore à réaliser… Avis aux amateurs !
