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Histoires de Morgues (inédit)

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La nouvelle ne risque pas de faire les gros titres du Dauphiné Libéré : les gendarmes du PGHM de Chamonix viennent de se doter, à l’héliport —DZ — des Bois, d’un espace funéraire composé d’une chambre froide et d’une salle permettant d’accueillir les familles des victimes… Jusque-là, les corps (une bonne dizaine chaque année), reposaient dans le hangar avant d’être pris en charge par les pompes funèbres pour être évacués à la morgue de Chamonix ou Sallanches.

 

Rien de vraiment nouveau pour les secouristes en montagne, puisque leurs prédécesseurs,  les chanoines de l’hospice du Grand Saint Bernard, disposaient depuis le XVe siècle d’une morgue pour accueillir les dépouilles des voyageurs accidentés ou pris dans la tempête lors de la traversée du col (2473 m). Située à quelques mètres de l’église et des bâtiments principaux, sa construction a été décidée après une bataille, le 18 avril 1476, opposant Vaudois alliés aux Piémontais et Valaisans, alliés aux Bernois. Selon les chroniqueurs, les flancs de la montagne étaient rougis de sang et couverts de cadavres. Impossible de les enterrer avec cette neige et les nappes de roches affleurantes ! Les chanoines édifièrent à la hâte une modeste construction, aux allures de bergerie, en prenant soin d’y percer quelques ouvertures : une simple ouverture grillagée, quelques meurtrières afin de bien aérer l’intérieur. Bientôt, dépassés par les candidats au repos éternel, les bons moines construirent une « annexe » en dessous de la bien-nommée « Combe des morts ». Emportée par une avalanche en 1706, cette dernière a été reconstruite.

 

Pendant des siècles, les malheureuses victimes de la montagne, non réclamées, furent donc entassées là. Enveloppées d’un suaire, la plupart étaient attachées, à l’aide d’une corde, sur une planche en position verticale pour ne pas perdre d’espace. Il est vrai que chaque année, le passage du col du Grand Saint Bernard coûtait la vie à six ou huit voyageurs : contrebandiers, voyageurs ou migrants saisonniers. Les autres défunts, trop rigides pour être dépliés, étaient simplement déposés à terre dans la position où ils avaient été trouvés. On trouvait ainsi une mère serrant son enfant contre elle ! Le temps, la sécheresse et le froid faisaient alors leur œuvre. Les corps, à la peau parcheminée, se momifiaient, siècle après siècle, avant de tomber lentement en poussière. Il ne subsistait alors que quelques fragments d’os épars sur un peu de terre noire que les religieux allaient épandre au printemps dans le petit jardin derrière l’église en accord avec les préceptes bibliques : « C'est à la sueur de ton visage que tu mangeras du pain, jusqu'à ce que tu retournes à la terre, puisque c'est d'elle que tu as été pris car tu es poussière et tu retourneras à la poussière. » (Genèse, 3 : 19)

 

Pendant des siècles, les curieux pouvaient entrer librement dans cet ossuaire alpin comme dans les catacombes des capucins de Palerme. Un voyageur du XIXe nous a laissé ce témoignage glaçant : « Les derniers venus sont là debout contre le mur au fond, la face découverte, hideuse, grimaçante. Sous le suaire entrouvert, sous les vêtements qui s'effilochent et s'en vont par lambeaux, apparaissent des muscles noircis, des fémurs, des tibias; les chaussures crevées laissent entrevoir les os dénudés des pieds. D'autres plus anciens se penchent, s'affalent les uns sur les autres. »

 

Avec l’essor du tourisme, la morgue, toujours en service, devint un objet de curiosité, presqu’un passage obligé pour les voyageurs. Charles Dickens la visite en en 1846 avec frisson et horreur. Plus tard, les chanoines firent même commerce de cartes postales. Certains visiteurs indélicats ne s’en contentaient pas et n’hésitaient pas à prélever quelques souvenirs macabres : dents et os…

 

C’en est trop pour les chanoines qui scélèrent la porte en 1936. Les parpaings furent alors démontés et remontés pour accueillir de nouvelles dépouilles. Enfin, en 1950, la morgue fut définitivement murée, ce qui n’empêcha pas un cinéaste indélicat de percer un trou pour voler quelques images. En 2009, la porte condamnée de l’annexe s’effondra. Des randonneurs, passant par là, jetèrent un œil par l’ouverture avant de faire un bond en arrière ! Terrorisés, ils se rendirent alors au poste de la police valaisanne pour signaler une dissimulation de cadavres !

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On dit que j'ai déjà vécu  plusieurs vies avec passion. Ingénieur-plongeur, dirigeant d’entreprise, accompagnateur en montagne, journaliste et écrivain… Depuis quelques années, je me  consacre principalement à l’écriture, aux voyages et à la montagne. 

J'ai  publié une dizaine de livres dont les derniers :

Rêves d'Icare — Pionniers et Aventuriers du vol non motorisé (ed. Paulsen)

Tirirou — le petit cochon de la montagne (ed. Mont Blanc) :  Champion de Ski — Secouriste

Le Seigneur des Ecrins (ed. du Mont-Blanc)

Du Courage — Éloge à l'usage des aventuriers et… des héros du quotidien (ed. Paulsen).

Eloge de la Peur (ed. Paulsen)

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© 2025    Textes, Vidéos et Photos Gérard Guerrier (sauf indication contraire)

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