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Amore mie : Val Stretta et Clarée 

 

 

Depuis longtemps, je rêvais d’un réveillon raquette dans le Val Stretta et sa cousine la Vallée de la Clarée … Là où les anciens, loin de la ville, du formica et du ciné, ont l’âme noueuse comme dans la chanson de Ferrat.

 

Bien étrange histoire que celle du Val Stretta, ou Vallée Etroite, surplombé par les 3 rois mages : Baltahazard, Melchior et Gaspard naturalisés français en 1947 par des militaires fatigués d’être à portée de canon des artilleurs transalpins. Vallée française, donc… Mais habitée exclusivement par des piémontais qui tiennent les refuges  des Alpini et du bien nommé Re Maggi.  Partis de Bardonecchia, nous remontons la vallée dans le silence de la neige qui tombe à gros flocons et qui étouffe le bruit de nos pas. La piste parcourue par les fondeurs de Pian de Colle est bien trop civilisée à mon goût. Nous profitons ainsi d’un pont de neige pour franchir le torrent et faire notre trace dans la poudre de la plaine de Vouzenet. Nous longeons ainsi la rive gauche du torrent sous le couvert des mélèzes, suivis par le vol ondulé d’un cincle plongeur. Celui-ci n’hésite pas à nager dans l’eau glacée en entrouvrant ses ailes avant d’émerger  le bec plein de larves… Un panneau nous indique une passerelle non indiquée sur la carte. Nous continuerons ainsi sur notre rive sauvage jusqu’à la hauteur des Granges de la Vallée Etroite. Hélas, la passerelle, afin de ne pas être détruite par les crues automnales, a été relevée, ne nous laissant d’autre choix, vue l’heure tardive qu’une traversée à gué, peu risquée puisque nous sommes en période d’étiage. Nous rejoignons ainsi le refuge des Re Maggi à la tombée de la nuit alors que les chutes de neige redoublent d’intensité.

 

Oubliez les cotillons, le saumon goinfré aux farines animales et le champagne frelaté des tristes réveillons tarifés « alla francese ». Ici nous sommes en Italie (enfin presque) et l’art de recevoir est d’abord un art de vivre. La lecture du menu nous laisse plein de perplexité : 13 plats se succèdent : du traditionnel « cotechino con lenticchie » au «cervo al civet » en passant par la « polenta con baccalà ». Ma non’ è possibile ! Eh bien si… Comme dans un repas de mariage des années folles, les plats défilent, l’un après l’autre, arrosés de Dolcetto d’Alba et d’Erbaluce… L’ambiance se réchauffe et peu à peu les chants italiens et français résonnent dans la salle où s’affairent de charmantes hôtesses… Quattro, Tre, Due… Due Mille  nove ! On s’embrasse, on lève notre verre de spumante et on va vite se coucher, car demain une rude étape nous attend : la traversée du Col de Thures avec, c’est sûr, une épaisse couche de neige fraîche.

 

Le réveil sonne trop tôt. La bouche un peu pâteuse, je tâtonne dans le noir à la recherche de mon futal. Rien… Un moment de panique : je m’imagine, en caleçon, à faire la trace dans la face Nord de la Muratière ! Ouf… Le voilà bien plié au fond de mon sac… Un ciel limpide et un petit vent glacial nous accueillent alors que nous testons nos ARVAs. Malgré les fortes accumulations de neige, je décide de tenter la traversée, en profitant au maximum de l’abri de la forêt mixte de pins et de mélèzes. Je ferai  trace commune avec Rolland, un accompagnateur de Visages. Nous ne serons pas trop de deux. Effectivement, après 300 mètres de dénivelée raide mais à l’abri de l’épaisse forêt, nous découvrons le grand couloir de la Miglia. Un rapide coup d’œil confirme nos doutes : nous ne passerons pas par ces pentes aux mélèzes couchés, bien trop exposées à notre goût. Nous contournerons donc cet obstacle par le haut : la Pointe Muratière, (2379 m) défendue par de raides pentes que nous franchissons en traçant à l’étroit sur une croupe puis en contournant les pentes les plus raides par le Nord. Par deux fois, le terrain nous semble suffisamment délicat pour tester pas à pas la pente en marquant lourdement nos pas, puis en faisant passer un à un nos clients.

Le panorama que nous découvrons au sommet est d’anthologie : les rois mages à l’Est, le Grand Seru et le Thabor au Nord, le Grand Rochebrune au Sud et les grands champs de neige immaculés  du vallon de Thures. Pas une seule trace à l’horizon ! Le vent est tombé à présent et nous en profitons pour étendre la nappe et nous restaurer avec un pique nique de réveillon : galantine de faisan à l’armagnac et compagnie. Pas besoin d’alcool fort, nous nous saoulons de poudre arrosée  de soleil dans une descente d’anthologie alors que nous croisons les premiers randonneurs.

 

Nous découvrons Névache alors que la vallée commence à s’endormir dans un froid glacial. Rapidement nous parcourons les rues de la ville basse à la recherche de notre gîte, le bien nommé : « La Joie de Vivre ». Il mérite à lui seul une telle randonnée : bibliothèque écolo-psycho-littéraire, vin chaud et lapin en liberté faisant ami-ami avec un vieux matou mité. Gloire et servitude de l’accompagnateur, pour cause de sur-booking, j’ai le droit de dormir, ainsi que Birgit mon épouse, dans la remise au milieu des boîtes de conserve et des pots d’herbes aromatiques. La soirée est joyeuse, Gaëlle avec son air plein d’innocence domine par son culot et sa science du jeu une partie endiablée de tarots, arrosée par les spécialités « locales » des membres du groupe : vieille chartreuse, Blanc de Blanc… Dehors, la température prend des allures polaires : -17°C.

 

Le lendemain, au grand dam de notre hôtesse, nous nous levons à 7H pour nous régaler d’un petit déjeuner princier. Il faut en profiter car une atmosphère algide nous attend. La Clarée fume de plaisir car elle n’aime rien de plus que ces petits matins où les aulnes se couvrent de manchons de glace alors que des givrés font crisser leurs raquettes. La remontée le long du torrent est silencieuse. Nous marchons à l’économie avec un seul objectif : la tâche de lumière au fond de la vallée. Enfin, nous y voilà, pour une halte, inondée de soleil, sous le signe du chocolat et du thé fumant. Encore une heure et demie, nous arrivons au refuge du Chardonnay (2223 m) en même temps que des randonneurs à ski, partis vers le col du Raisin. Avec quelques courageux, après le pique-nique (truite fumée, fromages des Vosges), nous partons vers le Col du Chardonnay (2635 m). La progression est facile car un groupe nous a précédé de quelques heures. D’ailleurs les voici qui descendent les pentes intermédiaires. Nous continuons notre progression : le col, et sa vue splendide sur les Ecrins, est maintenant à notre portée : encore une demi-heure, trois-quarts d’heure tout au plus, Je regarde ma montre : 14h30. J’avais calculé une heure maximale d’arrivée à 14h45-15H00 pour tenir compte du froid et d’un incident possible lors de la descente. J’opte ainsi pour un col intermédiaire situé à 2620 m, battu par le vent du Nord. Après une séance de photo digne d’un sommet Himalayen, nous entamons une nouvelle descente, ponctuée de cascades et de fous rires. Finalement, nous abordons les dernières pentes surplombant le refuge vers 16H00 et profitons des dernières lumières pour longer les crêtes ponctuées de traces de chamois, lièvres variables et renard.

 

Nouvelle soirée de rigolade où nous faisons connaissance avec un sympathique groupe  de stéphanois, que nous avons croisé. Plusieurs sont des habitués des trekking Allibert. Nous échangeons nos projets du lendemain,  nos divers breuvages : vieille chartreuse et grappa contre prune et mirabelle. Malgré le froid, nous sortons après le dîner pour une séance d’astronomie. Hélas, le quart de lune nous empêche l’observation d’Uranus. Mais à l’Est, Orion se lève splendide comme « toujours ». Nous nous racontons l’histoire de ce beau chasseur de Béotie transpercée par les flèches d’Artémis, trompée par la jalousie de son frère Apollon. Compte tenu du froid glacial, je me retrouve bientôt presque  seul à discourir sur les vilenies de Céphée et de Cassiopée. De retour au refuge, nous nous lançons, à l’invitation de nos nouveaux amis, dans une folle partie de « loup-garrou » où chacun essaie de prouver son innocence tout en accusant avec force mauvaise foi son voisin. Le refuge résonne de nos rires jusque tard dans la nuit car nous sommes seuls à l’occuper.

 

Dernier réveil… Compte tenu des températures extrêmes (-20°C), nous nous sommes octroyés une « grasse matinée » : le Col du Raison (2690m) attendra un autre jour. Aux premiers rayons de soleil, vers neuf heures, nous nous dirigeons prudemment dans les raides pentes qui surplombent le hameau du Queyrellin. Un dernier exercice de recherche d’Arva démontre l’utilité d’éteindre les téléphones portables avant d’entamer une recherche. Nous continuons alors notre pérégrination en prenant bien soin de suivre la course du soleil. Le pique nique adossé contre le mur d’un chalet de Fontcouverte nous invite à une courte sieste. Il fait presque chaud : 0°C ! Nous entamons alors la descente de la vallée en prenant bien soin d’éviter la piste commune, en nous engageant, chaque fois que cela est possible hors traces entre cynorhodon et épine vinette dont nous nous régalons. Le clocher de Névache, maintenant à l’ombre,  frappe quinze coups, alors que le village commence à s’engourdir.

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